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églises - Page 2

  • Petite histoire d'une brève rencontre entre nationalisme polynésien et protestantisme évangélique (1963)

    graham.jpgpouvanaa.jpgDu 5 au 9 juin 1955, 8000 personnes en moyenne ont assisté chaque soir aux prédications du baptiste américain Billy Graham au "Vel’ d’Hiv" à Paris. On sait que Roland Barthes y était: dans un des articles de Mythologies, il interprète le succès de B. Graham comme un signe de la "fragilité mentale de la petite-bourgeoisie, classe où s’est surtout recruté, semble-t-il, le public de ces séances". Surtout, il y accuse l’évangéliste d’être avant tout au service de la croisade américaine contre le communisme, qui culmine entre 1950 et 1956 avec le maccarthysme et la "chasse aux sorcières" menée aux Etats-Unis: "l’athéisme de la France n’intéresse l’Amérique que parce qu’il est pour elle le visage préalable du communisme. 'Réveiller' la France, c’est la réveiller de la fascination communiste. La campagne de Billy Graham n’a été qu’un épisode maccarthyste."

    En mai 1963, lorsque B. Graham revient à Paris, une autre personnalité intéressante est dans l'assistance, un  homme qui n’était ni petit-bourgeois français ni sympathisant du maccarthysme et que l’on a même accusé – à tort – de communisme: Pouvanaa a Oopa, le "Metua", grande figure de la vie politique polynésienne de l’après-guerre et père spirituel du nationalisme polynésien. L’information figure dans le bulletin d’information de la fédération des églises évangéliques baptistes de France (FEEBF) de décembre 2008. Elle rappelle à la fois un épisode peu glorieux de l’histoire coloniale française et l’influence du christianisme dans l’élaboration d’un discours nationaliste polynésien après la seconde guerre mondiale.

     

    Pouvanaa, député polynésien

    huahine.jpgPouvanaa est né à Huahine (îles Sous-le-Vent) en 1895. Il a appris le métier de menuisier et combattu en France de 1917 à 1918, participant notamment à la bataille de la Marne. Dès 1941, il s’oppose à l’administration coloniale française, en réclamant une meilleure gestion du territoire, la radiation des fonctionnaires pro-Vichy et la reconnaissance de "l’Océanie française libre (...) comme réelle patrie en guerre aux côtés de l’Angleterre, l’Amérique, la Russie et la Chine et de toutes les nations combattant pour la liberté du monde" (Regnault, 1996: p. 32). Son combat lui vaut d’être emprisonné à plusieurs reprises. Après la guerre, les établissements français d'Océanie (on ne parle pas encore de Polynésie française) sont dotés d'une assemblée représentative et d’un représentant à l’assemblée nationale. En novembre 1946. Déclaré inéligible, Pouvanaa est remplacé par son épouse Louise Tumahai, qui obtient un score important: 37% des voix. En 1949, le décès du député Georges Ahne donne lieu à une élection législative partielle: Pouvanaa est facilement élu (62%) et fonde alors son parti, le Rassemblement démocratique des populations tahitiennes (RDPT). Son programme: "Tahiti pour les Tahitiens", avec davantage de pouvoir pour l’assemblée représentative, une justice indépendante, un soutien financier aux écoles religieuses et la reconnaissance du tahitien comme langue officielle. Il conclut sa lettre aux électeurs par ces mots: "Votez pour celui qui n’adore pas le Veau d’or. Votez pour celui qui a toujours confiance en Dieu". Plaidant pour un meilleur partage des richesses (il veut "prendre l’argent là où il est"), il est accusé par ses adversaires de communisme. "Je jure devant Dieu », réplique-t-il dans une mise au point publiée par les journaux locaux, "de ne jamais adhérer, de ne jamais professer, de ne jamais soutenir, la doctrine communiste".
    EPM haapiti.jpgLes communistes sont pourtant à cette époque l’un des meilleurs soutiens des mouvements anti-coloniaux, mais Pouvanaa se veut avant tout un chrétien. Son histoire familiale, dont G. Malogne-Fer et moi avions eu l’occasion de discuter en 2000 avec une de ses petites-filles, l’incitait à dépasser les frontières confessionnelles pour faire du christianisme une sorte de socle commun de l’identité polynésienne: né de parents protestants, il a été baptisé catholique et a été plus tard enfant de chœur au nom de l’amitié qui unissait son père à un père catholique. Sa plus jeune sœur est baptisée adventiste, pour des raisons similaires. Marié à une protestante et lui-même protestant, il rend donc régulièrement visite aux différentes églises locales et défend avant tout une stricte morale chrétienne. En 1942, il avait déjà demandé la fermeture des heiva.jpgdébits de boisson. En 1950, il critique cette fois les fêtes de juillet, qui sont l’occasion de concours de danses traditionnelles: il leur reproche de durer trop longtemps et d’entraîner les habitants dans des "exhibitions sauvages": ces danses sont à ses yeux un mauvais folklore, où les Tahitiens paraissent déguisés en sauvages – un point de vue pas très populaire parmi la population locale.

     

    Pouvanaa exilé: le nationalisme polynésien victime de la raison d'État

    En 1957, les EFO deviennent la Polynésie française et Pouvanaa est élu vice-président du nouveau Conseil de gouvernement local. Mais l'année regnault-pouvanaa.jpgsuivante, il échoue à convaincre les électeurs polynésiens de voter non au référendum sur la Constitution. Etroitement surveillé par les services de renseignement français, il est plus que jamais considéré comme une menace par un gouvernement français qui réfléchit déjà à une possible implantation d'un centre d'expérimentation nucléaire en Polynésie française, comme l'a montré J.-M. Regnault dans un livre publié en 2003, intitulé "Pouvanaa a Oopa, victime de la raison d'État. Les documents parlent". En octobre de cette même année, Pouvanaa est en effet accusé d'avoir donner l'ordre à ses partisans d'incendier la ville de Papeete. Arrêté, Pouvanaa est condamné en 1959 par une justice à l'évidence partiale, dont le but est avant tout de faire disparaître le leader nationaliste de la scène politique tahitienne: il est emmené en France, incarcéré environ 15 mois à la prison des Baumettes à Marseille et à Fresnes, puis assigné à résidence à partir de juillet 1962. En 1966, un décret lui octroiera une remise de peine et en 1969 il bénéficiera d'une amnistie, ce qui lui permettra d'être élu sénateur en septembre 1971.

     

    Une histoire baptiste

    C'est au cours des années d'assignation à résidence, entre 1962 et 1966, que l'histoire de Pouvanaa croise celle du baptisme français. Il séjourne en effet dans des maisons de retraite protestantes, en particulier la Roseraie, une maison dirigée par un pasteur baptiste à Pierrefonds, en Picardie. metua7.jpgC'est là que le sénateur Richard Tuheiava est allé rendre hommage à son prédécesseur après son élection en septembre 2008 (photo: La dépêche de Tahiti). Et c'est sans doute cette visite qui a réveillé les souvenirs des baptistes locaux, les incitant à les publier en décembre 2008 dans la lettre d'information de leur fédération nationale. Il reste à Pierrefonds des meubles, des portes et des boiseries que Pouvanaa a contribué à monter.  Il reste aussi cette anecdote, livrée par l'épouse du pasteur qui hébergeait le leader tahitien, Mme Bonnaud: "elle avait obtenu des 'Autorités' un accord pour que le résident surveillé puisse se rendre avec le car de l'Eglise baptiste de St Sauveur à Paris, pour écouter l'évangéliste Billy Graham". On ne sait pas ce qu'il en pensa, mais cette brève rencontre entre le nationalisme polynésien et le baptisme est en tout cas une bonne occasion de revenir sur l'itinéraire aussi exceptionnel que dramatique du premier grand homme politique polynésien de l'histoire contemporaine.

     

    Sources bibliographiques:

    Alex du Prel, "Innocence de Pouvanaa a Oopa, les documents parlent" (compilations de textes de J.-M. Regnault), Tahiti Pacifique, juin 2003.

    Jean-Marc Regnault, L'échec d'un nationalisme tahitien, Te Metua (1940-1964), Papeete, éd. Polymages, 1996.

    Jean-Marc Regnault, "Pouvanaa, l'alcool et les fêtes de juillet", Tahiti Pacifique, juillet 1994.

    Bruno Saura, Politique et religion à Tahiti, Papeete, éd. Polymages-Scoop, 1993 (chap. 3, "Pouvanaa a Oopa. Histoire d'un messianisme").

  • Tahiti malade de ses politiques ? Entretien avec J.-M. Regnault

    6add8c983b06c4c40d802ecd6d0cbeec.jpgHistorien spécialiste de la vie politique polynésienne, Jean-Marc Regnault est notamment l’auteur d’un livre paru en 2004, Taui ou le pouvoir confisqué, écrit en réaction au renversement du premier gouvernement Temaru (de mai à octobre 2004) et qui a eu un retentissement important en Polynésie française – où il s’est vendu à plus de 4000 exemplaires.
    Dans son dernier livre, Tahiti malade, malade de ses politiques (2007, éditions de Tahiti), il revient sur la situation socio-économique et les mœurs politiques de ce pays d’outre-mer, l’opposition stérile entre «autonomistes» et «indépendantistes», l’héritage des années Flosse, l’expérience décevante des gouvernements Temaru. J.-M. Regnault a en outre coordonné avec Jean Baubérot un ouvrage collectif (à paraître prochainement aux éditions Les Indes Savantes) sur les relations entre églises et autorités publiques dans l’outre-mer français.
    Alors qu’Oscar Temaru vient d’être réélu à la présidence du gouvernement de Polynésie française après à une alliance – de circonstance? – entre les fidèles de Gaston Flosse et celui qui est depuis plusieurs décennies son premier opposant pour renverser, le 31 août dernier, le gouvernement Tong Sang, il paraît utile de faire le point sur l’état actuel du paysage politique polynésien et, au passage, sur les relations entre églises et politique.
     
    (Entretien réalisé le 14 septembre 2008 par Y. Fer et G. Malogne-Fer)
     
    Q. L’alliance entre Oscar Temaru et Gaston Flosse, plusieurs fois évoquée au cours des derniers mois, était-elle un jeu de dupes ou peut-on imaginer qu’elle voit vraiment le jour? Comment peut-on expliquer un rapprochement aussi déconcertant?
    JMR. Tout est possible en Polynésie française, même l’invraisemblable. Cette alliance apparemment contre nature doit être appréciée en fonction de trois angles :
    - Il y a l’aspect tactique, donc effectivement un jeu de dupes entre les deux grandes forces, chacune espérant tirer un bénéfice de ce67910822b2faa0ef660e10f8ee3cdf16.jpg rapprochement peut-être temporaire
    - Il y a le pragmatisme de Gaston Flosse. En 1978, quand il comprit qu’il ne pourrait plus s’opposer à la montée de l’autonomie, il devint «super autonomiste» avec l’idée de capter le mouvement à son profit, ce qu’il réussit. En 2007, il comprend qu’on ne pourra s’opposer indéfiniment au mouvement indépendantiste (et à ses alliés). Sans doute espère-t-il contrôler ce mouvement et le dominer…
    - Il y a l’exaspération de Gaston Flosse à l’égard de l’Etat, chaque fois que le gouvernement central choisit un autre leader que lui-même.
    Le problème est que cette fois, Gaston Flosse est affaibli et qu’il a en face de lui l’UPLD, une force plus importante que la sienne. De plus, c’est l’UPLD qui a davantage de chance de capter l’électorat populaire qui jusque-là votait encore Tahoera’a par clientélisme.

    Q. Gaston Flosse a 76 ans, Oscar Temaru 63 ans, le même âge qu’Émile Vernaudon (qui a souvent joué le troisième homme en ralliant tantôt un camp, tantôt l’autre). Peut-on espérer en Polynésie française l’émergence d’une nouvelle génération politique ?
    JMR. Forcément cela viendra. Mais les mentalités ont été forgées par le colonisateur et ses prolongements : assistance, clientélisme, rapports de soumission au pouvoir central.

    Q. Y a-t-il un décalage entre les aspirations des Polynésiens et le comportement de la classe politique locale?
    JMR. Oui et non. La population est scandalisée, mais en même temps, elle pardonne beaucoup pourvu qu’elle bénéficie des retombées des comportements apparemment aberrants.
     
    f494f5238cce399ab92292489c7223b4.jpgQ. La candidature de Ségolène Royal, qui a recueilli en Polynésie française des scores importants, a semblé y conforté  l’idée que « l’heure des femmes » était peut-être venue. Nicole Bouteau (photo ci-contre) a dû quitter son mandat à l’assemblée polynésienne, Béatrice Vernaudon n’a pas été réélue députée. Que représentent-elles et que peuvent-elles espérer aujourd’hui?
    Le problème hommes/femmes ne se pose pas dans les mêmes termes qu’en métropole. Si une femme a du charisme, elle sera acceptée. Les deux personnes citées disposent d’atouts non négligeables pour jouer un rôle éminent dans les années futures. Il reste à Nicole Bouteau à faire davantage de politique que de morale et à Béatrice Vernaudon à définir une ligne claire.
     
    Q. Durant la dernière présidence d’Oscar Temaru, on a vu se constituer à l’assemblée un nouveau groupe, celui des «îliens», élus des îles dites «éloignées», qui sont aujourd’hui les alliés de Gaston Tong Sang. Faut-il y voir une stratégie de quelques élus opportunistes ou plus profondément, une manière de faire exister à l’assemblée «l’autre Polynésie»: les 25% de Polynésiens qui vivent loin de Tahiti et Moorea, aux Marquises, aux Tuamotu, aux Australes et aux Iles Sous-le-Vent ?
    Comme le disait Alexis de Tocqueville, à défaut d’enrichissement par l’industrie, la politique permet de capter les fonds publics. Tant qu’il n’y aura pas de développement propre des îles éloignées, la politique restera la seule source d’enrichissement, donc la tendance à l’opportunisme n’est pas prête à disparaître.
     
    Q. Le Tavini a choisi pour emblème une croix chrétienne, on sait qu’Oscar Temaru est un catholique fervent et son bras droit Antony Geros, lorsqu’il était président de l’assemblée, avait été jusqu’à accrocher une croix dans l’hémicycle. Le parti indépendantiste est-il un parti chrétien?
    dcd4ce58faa5dc1e93074ee1783d9175.jpgLa croix représente davantage la souffrance que le Christ lui-même. La culture locale, l’histoire locale ne permettent pas de poser les termes du combat politique en termes de luttes de classes, d’oppositions sociales, pas davantage sous l’aspect de de l’affrontement droite/gauche. La culture commune aux Polynésiens étant le christianisme, seul le langage biblique permet aux gens de se repérer.

    Q. Vous vous demandez dans votre livre «comment ce peuple qui se dit chrétien reste-t-il insensible aux rapports accablants contre la gestion du Tahoeraa» (le parti de G. Flosse). La religion occupe une place considérable dans la société polynésienne, mais on a souvent l’impression que les églises n’ont pas réellement d’influence sur les choix politiques de leurs fidèles, simples électeurs ou responsables politiques? Est-ce vraiment le cas?
    La religion est un signe d’appartenance fort. Il entre cependant en concurrence avec d’autres appartenances comme la famille ou le clan. Les Eglises de Polynésie française n’ont guère plus d’influence pour «moraliser» les fidèles que les Eglises n’importe où dans le monde. Si les gens qui assistent aux offices religieux étaient meilleurs que les autres, cela se saurait…
    En PF comme ailleurs, les partisans de telle ou telle personnalité politique imaginent toujours que les reproches faits à leur leader résultent d’un complot organisé par les adversaires. Et, quand ils reconnaissent les faits, ils ajoutent immédiatement que les «autres» ont fait pire…

    Q. La laïcité à la française a-t-elle un sens en Polynésie française?
    La laïcité n’a aucun sens parce qu’elle ne correspond à aucun combat historique. Au contraire même, les Eglises ont plutôt contribué à la protection des autochtones et à la sauvegarde d’une partie de leur patrimoine culturel. Souvent, en Polynésie française, le mot laïcité est synonyme d’athéisme. N’oublions pas non plus que la loi de 1905 sur la Séparation des Eglises et de l’Etat n’a pas été rendue applicable ni que les Eglises comblent souvent les insuffisances des autorités civiles.

    Q. Où en sont aujourd’hui les relations entre les acteurs politiques locaux et l’État ? Y aura-t-il un jour en Polynésie française un « État impartial » et quelle est, au-delà des compétences accordées par le statut de 2004, la véritable autonomie du gouvernement local vis-à-vis de l’État central?
    d1062cb8107ea12950e9c9f0edec2aa3.jpg L’Etat peut-il être impartial tant que les électeurs d’outre-mer peuvent faire ou défaire une élection nationale? Peut-il l’être tant que les dirigeants nationaux n’ont qu’une connaissance limitée des réalités de l’outre-mer? En Polynésie, il y a toujours eu un leader protégé par le gouvernement central et c’est au travers de lui que ce gouvernement entendait contrôler le Territoire. Nicolas Sarkozy n’a pas failli à la tradition et il a immédiatement pris le parti de G. Tong Sang sans chercher à connaître sa représentativité. Le défaut de l’autonomie, c’est d’avoir négligé l’aspect économique. Avec le temps, la dépendance économique et financière n’a fait que croître. Un gouvernement central peut asphyxier tout gouvernement local qui lui déplairait.
     
    Q. L’économie polynésienne, justement, avec un niveau de vie globalement élevé mais de grandes inégalités sociales, dépend énormément des généreux transferts de la métropole. Comment imaginer une indépendance politique dans ces conditions?
    N’était-ce pas une volonté délibérée de G. Flosse de jouer sur le registre d’une autonomie apparente pour contrer les indépendantistes et sur le registre de la prospérité artificielle pour empêcher les électeurs d’envisager une rupture avec la France? L’autonomie économique est sans doute un leurre, mais le bon sens commanderait de la rechercher de façon à se mettre autant que faire se peut à l’abri des aléas de l’histoire future de la France ou du monde.
    L’indépendance politique est toujours possible. Il reste aux acteurs à faire en sorte qu’elle soit la moins douloureuse possible avec la métropole ou l’Europe.
    De toute façon, la revendication indépendantiste ne ressortit pas de considérations réellement objectives. Elle se nourrit de frustrations, de rêves, d’ambitions aussi. Le drame, c’est que l’ancienne puissance coloniale ne comprend jamais à temps les mécanismes qui nourrissent la montée du nationalisme.

    Q. Comment voyez-vous les prochains mois, avec un gouvernement qui n’a toujours pas de majorité stable et l’annonce par le secrétaire d’État à l’outre-mer, Ch. Estrosi, de prochaines élections de l’assemblée locale, selon un nouveau mode de scrutin ? 
    Je ne lis pas dans le marc de café. Toutefois, même si le président n'a pas obtenu la majorité absolue, il semble clair que beaucoup d'élus du Tahoeraa ne souhaitent pas le renverser. Il faudrait toutefois que le nouveau gouvernement aille vite et prenne des mesures courageuses. Son temps est compté si le gouvernement central veut un retour rapide aux urnes, mais il est assez incroyable que ce gouvernement central semble vouloir légiférer sur le système électoral sans en référer à l'assemblée de Polynésie française. Ce qu'il propose est en fait l'organisation du désordre, avec un émiettement voulu des forces politiques (par le biais d'une proportionnelle quasi-intégrale et d'une multiplication des circonscriptions). Voudrait-il démontrer que l'autonomie n'est pas viable qu'il ne s'y prendrait pas autrement. Mais qu'envisage-t-il ensuite? Le jeu est bien dangereux.
     
     
     
    Nb. Illustration État-gouvernement local: la haut-commissaire en Polynésie française avec O. Temaru, à Faa'a.

  • C'est où, Kiribati ?

    867aa0e288b5e9f179d29f052ae03f90.jpgLes Kiribati ont surgi par surprise dans l’actualité française du mois d’août, à l’occasion du naufra- ge du chalutier Sokalique, au large de l’île d’Ouessant, et de la responsabilité d’un cargo sous pavillon de ces îles micronésiennes dans l’accident. Au fait, c’est où les Kiribati ? Grâce à Rumaroti Tenten, enseignant au Tangintebu Theological College de South Tarawa – l’école de formation de la Kiribati Protestant Church – et auteur du chapitre Kiribati dans le livre édité en 2007 par Manfred Ernst (Globalization and the Reshaping of Christianity in Oceania), on peut tout savoir, ou presque sur ces îles du Pacifique, y compris bien sûr ce qui concerne un paysage religieux relativement diversifié pour une population d’environ 95000 personnes.

    La république de Kiribati, connue sous le nom des îles Gilbert jusqu’en 1979, estdc1167a77719b72fb8fc27888739cf06.jpg constituée d’un ensemble de 33 atolls (dont 23 inhabités) au centre de l’Océan Pacifique, étalés sur des distances immenses : 3870 km d’est en ouest et 2050 km du nord au sud. Les trois archipels qui la composent sont d’anciennes colonies britanniques, annexées entre 1915 et 1937 : après la découverte de phosphates sur l’île de Banaba en 1908, le groupe des îles Gilbert (stricto sensu) et celui des îles Ellice deviennent britanniques en 1915-1916, puis l’île Christmas (aujourd’hui Kirimati) et les îles de la Ligne en 1919 et enfin les îles Phoenix en 1937. En 1975, les îles Ellice se sont prononcées massivement en faveur d’une séparation, donnant naissance en 1978 à l’État indépendant de Tuvalu.

    3a0197325188f4d46da46f307ee82208.jpg Les réserves exploitables de phosphate, explique R. Tenten, étaient épuisées lors de l’accession à l’indépendance. L’essentiel de l’économie des Kiribati repose aujourd’hui sur le coprah et la pêche (exportations mais aussi accords de pêche, comme celui conclu en 2003 avec l'Union européenne). Le tourisme est peu développé : autour de 4000 visiteurs par an. Pour réduire la dépendance vis-à-vis des exportations et faire évoluer son économie, le gouvernement de Kiribati mise aujourd’hui sur l’éducation, afin d’augmenter le niveau de formation. Le registre maritime de Kiribati (basé à Singapour), avec ce qu'il est convenu d'appeler un "pavillon de complaisance" pour les navires de commerce (créé en juin 2006 par amendement au Kiribati Merchant Shipping Act), vise évidemment à apporter à ce pays relativement pauvre des ressources supplémentaires - 5,6 millions d'euros par an selon Libération. Le gouvernement des Kiribati suit ainsi l'exemple d'autres îles du Pacifique, notamment Tuvalu.

    Il s’efforce en outre d’enrayer les concentrations de population trop importantes sur certaines îles, en particulier sur l’atoll de Tarawa, la capitale du pays (où vit près de la moitié de la population), un problème récurrent qui a inspiré plusieurs plans de déplacement de populations depuis les années 1930, décrits par Karen Nero dans The Cambridge History of Pacific Islanders: des îles Phoenix vers des îles peu peuplées au sud des îles Gilbert, des îles Gilbert et de Sydney Island vers l’île de Ghizo aux Salomon sous la période coloniale et plus récemment des îles Gilbert (Tungaru en langue locale) vers les îles de la Ligne. En 1985, écrit K. Nero, seulement 3,5% des I-Kiribati avaient vécu à l’étranger, autrement dit la solution aux problèmes de surpopulation passe aussi par l’ouverture de routes migratoires. La plupart de ces émigrés travaillaient dans les mines de Nauru, dont l’activité a cessé à la fin des années 1990, ou comme marins. En 1994, Kiribati et Tuvalu ont demandé à la Nouvelle-Zélande et à l’Australie une augmentation des permis de travailleurs migrants, qui leur a été refusée.

    5ed9821e5ee56f45d2d91b08de27ca16.jpg En grande majorité, les habitants des Kiribati appartiennent à l’une des deux églises établies au 19ème siècle: l’église catholique (54%) et la Kiribati Protestant Church (37% au recensement de 2000). La première s'est implantée au cours des années 1880 et a ouvert des écoles à partir de 1925. La seconde, qui rassemble différentes sensibilités protestantes (presbytériens, congrégationalistes, baptistes, méthodistes et anglicans), est issue des deux missions ayant joué un rôle majeur dans la diffusion du protestantisme dans le Pacifique: l’American Board of Commissioners for Foreign Missions (ABCFM), dont beaucoup de missionnaires en Micronésie étaient hawaiiens ; et la London Missionary Society (LMS), présente dans le Pacifique depuis 1797 (date de l’arrivée du premier bateau, le Duff, en baie de Matavai à Tahiti) et appuyée par des missionnaires samoans. La LMS ayant rencontré davantage de succès, c’est elle qui prend en charge l’ensemble des îles à partir de 1917, date à laquelle l’ABCFM se retire. La Kiribati Protestant Church, en tant qu’église indépendante, a vu le jour en 1968. Elle se distingue notamment par la place qu’elle accorde aux femmes, puisqu’elle compte aujourd’hui 20 pasteures (sur 120).
     
    À Kiribati comme dans beaucoup d’îles du Pacifique, on observe depuis les années 1970-80 trois tendances:
    - Une église catholique plutôt stable, voire en légère progression
    - Un déclin relatif de l’église protestante historique (le nombre de ses membres augmente moins vite que la population globale)
    - Une progression des églises de la «deuxième vague » (Mormons et adventistes) puis de la «troisième vague», plus récente (Pentecôtistes, témoins de Jéhovah, Bahá’í).

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    L’église mormone, qui gère notamment une école secondaire à Tarawa (la Moroni High School) est la troisième église de Kiribati, même si elle arrive loin derrière les deux églises historiques : présente depuis 1976, elle comptait 2300 membres au recensement de 2000. Elle est suivie de près par deux mouvements présents depuis l’après-guerre (respectivement 1954 et 1947) : les Bahá’í (2052), qui connaissent depuis plusieurs dizaines d’années une progression significative dans les îles du Pacifique, et les adventistes (1400).
    On recense aujourd’hui à Kiribati un nombre étonnant d’églises pentecôtistes ou évangéliques, le plus souvent originaires des Etats-Unis : la Church of God, première arrivée (en 1954), les assemblées de Dieu – qui reçoivent des missionnaires fidjiens et américains et en ont elles-mêmes envoyés aux îles Marshall -, la Church of Christ, la New Apostolic Church. La Kiribati New Testament Pentecostal Church est venue s’ajouter à la liste en 2000, à la suite d’une scission survenue au sein de la Church of God. Comme c’est le cas sur tous les continents, ici aussi, la croissance du pentecôtisme repose donc à la fois sur la multiplication des activités missionnaires extérieures et les divisions internes aux églises locales.
     
     
    Photos d'illustration
    L'atoll de Tarawa vu d'avion (trekearth.com)
    Le drapeau officiel de la république de Kiribati  
    Les autres photos de Kiribati sont issues du site galenfrysinger.com