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religion - Page 12

  • Histoire et mésaventures des "frères larges" et "étroits" en terres polynésiennes

    medium_darby-polynesie2.jpg Décrits par Stendhal comme des « Jansénistes du protestantisme », les darbystes sont apparus au milieu du 19ème siècle sous l’influence de John Nelson Darby, ancien prêtre anglican. « Ils considèrent », explique S. Fath dans Du Ghetto au Réseau, les protestants évangéliques en France, 1800-2005 (Labor et Fides, 2005), « que toutes les églises ont failli, et qu’il convient de supprimer toute forme de clergé et de liturgie, au profit d’une piété ascétique et collégiale ou chacun peut prêcher » (p. 112). En 1845, une scission au sein du mouvement des frères de Plymouth aboutit à la constitution d’un courant darbyste proprement dit, ou « frères étroits » (en anglais « Exclusive Brethren »), qui se distingue d’un courant moins rigoriste appelé « frères larges » (« Open Brethren »). On imagine aisément une communauté de « frères » dans une des petites vallées du Jura suisse, mais sait-on qu’ils sont aussi présents depuis 1852 en Océanie ?
    C’est en effet en 1852 que les premiers « frères » (« larges ») arrivent en Nouvelle-Zélande, une histoire à laquelle l’historien Peter Lineham, spécialiste du christianisme néo-zélandais, s’est particulièrement intéressé. C’est donc vers lui que se sont tournés les médias néo-zélandais quand, au cours de la campagne pour les élections législatives de septembre 2005, il est apparu que des « frères étroits » avaient écrit et massivement distribué, en concertation avec le parti conservateur, des tracts anonymes violemment hostiles aux partis vert et travailliste ! Comment comprendre qu’un groupe se proclamant en retrait du « monde » et refusant de voter intervienne de cette manière dans le jeu politique ? L’affaire a donné lieu à plusieurs semaines d’interrogations, de rebondissements et de polémiques (que l’on peut retrouver sur le site internet du NZ Herald), jusqu’à ce que les sept « frères étroits » impliqués, hommes d’affaires du nord de la Nouvelle-Zélande, acceptent de donner une conférence de presse au cours de laquelle ils ont expliqué leur intervention par leurs convictions « fondamentalistes » (« We are Fundamentalists ») et leur volonté d’épargner au pays un déclin moral irréversible. Ces péripéties et le nombre des « frères » concernés ont bien sûr inspiré aux dessinateurs de presse des caricatures sur le thème de Blanche Neige (rôle tenu par Don Brash, le leader du National Party) et les sept nains. D’autres « frères étroits » ont depuis conduit une campagne similaire sur l’île australienne de Tasmanie.
    Au recensement de 2001, la Nouvelle-Zélande (environ 4 millions d’habitants) comptait 1950 « frères étroits », 10149 « frères larges », à quoi s’ajoutent des « frères » recensés comme « frères de Plymouth » (435, peut-être les FP4 évoqués par S. Fath dans une note de mai dernier ?) ou simplement comme « Brethren » sans autre précision (7503). Les « frères larges » néo-zélandais ont mené des missions parmi les Maori et ont en outre contribué à la diffusion du mouvement dans les îles polynésiennes. Les études de cas publiées dans le livre récent Globalization and the Re-Shaping of Christianity in Oceania (voir note antérieure) permettent d’en retrouver la trace :
    - à Samoa.
    La Apia Christian Fellowship est née en 1954 de la rencontre entre un missionnaire précédemment implanté chez les Maori (alors en escale à Fidji entre les îles Cook et la Nouvelle-Zélande), un missionnaire samoan de la London Missionary Society’s Samoan Congregation à Fidji et un couple d’enseignants samoans méthodistes. Elle compte environ 500 membres, qui se réunissent au Gospel Hall de la capitale samoane.
    - à Tuvalu.
    Les frères y sont présents depuis 2001, à l’initiative de deux Tuvaluans convertis à Fidji, avec une communauté embryonnaire d’une quarantaine de personnes.
    Ce qui suggère, même si le chapitre consacré à Fidji ne le dit pas, que des groupes de « frères larges » existent également à Fidji.
     
     
    (illustration : John N. Darby en Polynésie, collage Y. Fer) 

  • Da Vinci Code interdit à Samoa

    Les « droits fondamentaux de la personne humaine » face à l’autoritarisme des églises chrétiennes traditionnelles

    Le comité de censure des Samoa occidentales, nous apprend Tahiti Presse, a décidé ce week-end d’interdire que le film « Da Vinci Code » soit projeté dans l’unique salle de cinéma de l’archipel (le Magik Cinema d’Apia, la capitale) et loué en DVD. Selon la dépêche, cette décision fait suite à l’avis rendu par le « Conseil des églises chrétiennes », sollicité par le comité de censure. À ma connaissance, il n’existe pas aux Samoa de conseil rassemblant toutes les églises chrétiennes et il s’agit très probablement du National Council of Churches, qui rassemble les trois églises « traditionnelles » :
    - La Congregational Christian Church in Samoa (CCCS), appelée aussi lotu tahiti ("église Tahiti"), qui rassemble 35% de la population.
    - L’église catholique, soit 20% de la population.
    - L’église méthodiste (lotu tonga), soit 15% de la population.
    Les églises évangéliques et pentecôtistes, qui connaissent depuis les années 1980 une progression continue et importante, ont quant à elles créé une seconde structure fédérative, l’Evangelical Fellowship of Churches.
    Aux îles Samoa comme dans beaucoup d’îles polynésiennes aujourd’hui, les revendications de liberté individuelle s’opposent à des rappels à l’ordre communautaires (autorités villageoises) ou institutionnels (responsables d’église). Si en milieu urbain et a fortiori en situation de migration (plus de 100 000 Samoans vivent en Nouvelle-Zélande), il est plus facile d’affirmer la légitimité de choix personnels, dans les villages les changements d’affiliation religieuse en particulier suscitent encore de fortes résistances. En 2002, l’association Human Rights Without Frontiers évoquait notamment les tensions liées à la croissance des Assemblées de Dieu (7% de la population en 2001) et des cas d’expulsions de convertis.
    Le fait que des églises aient ainsi décidé d’interdire le film Da Vinci Code s’inscrit dans cette confrontation entre d’un côté des droits de l’individu à vocation universelle, une société de plus en plus plurielle, et de l’autre des églises porte-parole de la tradition chrétienne samoane qui considèrent qu’à Samoa, l’individu n’existe pas en dehors de son appartenance obligée à sa communauté d’origine et d’une soumission à ceux qui y exercent l’autorité. Cette confrontation est aussi générationnelle, l’archevêque de Samoa a d’ailleurs justifié l’interdiction du film en évoquant les jeunes, dont la foi, « moins ancrée que celle des classes les plus âgées, pourrait s’en trouver affectée ».
    Aux arguments des églises, le propriétaire du cinéma oppose le « droit fondamental de la personne humaine » de se faire une opinion, exprimant bien le fossé qui se creuse entre les jeunes générations et des églises dont le déclin relatif (au profit des Mormons – 13% de la population, des Adventistes – 4%, des évangéliques et des pentecôtistes) risque de s’accentuer dans les années à venir.

     

  • Christianisme et exotisme

    Intervention le 18 mai 2006 : "Anthropologie du christianisme en Océanie : des églises traditionnelles aux nouvelles églises"

    Qu’ils soient chrétiens ou non, beaucoup d’Européens sont habitués à considérer le christianisme comme une part exclusive de leur patrimoine culturel. Le retrouver sous les tropiques, c’est faire l’expérience un peu déroutante d’une espèce d’exotisme à l’envers : quelque chose de soudain familier (déplacé ?) dans un contexte étranger, ou au contraire une version bizarrement étrangère de quelque chose qui devrait être familier, comme une chanson de Brassens chantée en japonais.
    Pour retomber sur nos pieds, nous avons alors deux tentations : déplorer le fait que des cultures authentiques se trouvent envahies par cette religion occidentale et plaindre les chrétiens non occidentaux de s’égarer si loin de leur identité « naturelle ». Ou pister au contraire dans ce christianisme exotique tout ce qui trahit son origine locale, tout ce qui révèle une culture préservée sous le « vernis » de la conversion.
    C’est entre ces deux écueils que doit naviguer l’analyse sociologique ou anthropologique des christianismes non occidentaux, face à un renversement de situation dont on aperçoit encore mal toutes les conséquences : le christianisme est désormais – et chaque jour davantage – une religion majoritairement non occidentale et si les missionnaires sont encore souvent occidentaux, les missions chrétiennes émergentes viennent d’Asie, d’Afrique et d’Océanie. Elles ambitionnent de re-christianiser l’Occident, où les effets conjoints des migrations et de la sécularisation donnent d’ailleurs de nouvelles couleurs au christianisme.

    C’est en partant de ce constat que j’interviendrai le 18 mai prochain au (FRAO, EHESS), sur le thème « Anthropologie du christianisme en Océanie : des églises de la tradition aux nouvelles églises ».Je reprendrai les étapes suivies par les anthropologues qui, après s’en être d’abord détournés, se sont au cours des vingt dernières années intéressés aux églises chrétiennes d’Océanie. Je décrirai aussi les « vagues » successives – mormones et adventistes, puis évangéliques, pentecôtistes – qui sont venues contester la « tradition chrétienne » élaborée progressivement dans le sillage des missions du 19ème siècle. Et j’essaierai de mesurer les enjeux, pour l’Océanie, d’un pluralisme religieux qui, accentué par la globalisation des échanges et les migrations, constitue peut-être, comme l’a écrit l’historien américain Charles Forman, l’un des défis importants que les sociétés océaniennes ont aujourd’hui à relever.

    Un plan de cette intervention peut être téléchargé ici

     

    (Photo : culte dominical, Church of Melanesia de Tagabe, Vanuatu. Source : COE)