Voici comme promis un aperçu du second versant de l’histoire des missions chrétiennes en Océanie, qui met en scène des missionnaires océaniens ayant contribué, d’abord en appui des missions européennes puis au nom d’églises océaniennes devenues autonomes (jusqu’aux années 1980 dans certaines régions), à la diffusion du christianisme dans les îles du Pacifique.
Les missionnaires d’Océanie, le plus souvent polynésiens, sont au départ décrits par les observateurs européens non comme des missionnaires à part entière mais comme des
native teachers, auxiliaires des missions européennes qui débutent essentiellement (mises à part quelques incursions catholiques isolées) à la fin du 18ème siècle avec l’arrivée à Tahiti de la
London Missionary Society (LMS) protestante.
Au 20ème siècle, ils prennent progressivement en charge des églises locales dans l’ensemble des îles du Pacifique, instaurant avec les populations locales des relations faites d’échanges culturels et parfois de rapports de domination.
Missions polynésiennes en Papouasie Nouvelle-Guinée Selon les statistiques de la
LMS, presque la moitié des missionnaires et de leurs épouses sont morts ou ont été tués entre 1871 et 1885. Ils viennent des
îles Loyauté, des
îles Cook, de
Niue (à partir de 1874), des îles de la Société (1878) et de
Samoa (1884). La
Wesleyan Methodist Mission envoie elle aussi en Papouasie Nouvelle-Guinée des missionnaires tongiens (les Tongiens qui avaient auparavant, à partir de 1835, déjà contribué à l’implantation du méthodisme à Fidji et Samoa), des Samoans et des Fidjiens. Ils arrivent en Nouvelle-Guinée à partir de 1875, en Papouasie à partir de 1891, aux Salomon en 1902, puis dans les montagnes des Highlands au cours des années 1960. Dans les années 1970, cette mission méthodiste s’associe à l’église unie de Papouasie Nouvelle-Guinée et Salomon pour envoyer des missionnaires chez les aborigènes des territoires du nord de l’Australie.
Les principales difficultés rencontrées par ces missionnaires océaniens sont liées à des maladies inconnues en Polynésie et à Fidji, comme la malaria. Leurs relations avec les populations locales sont ambivalentes : plus faciles que les relations entre missionnaires européens et Mélanésiens, mais pas sans tensions. Plusieurs auteurs évoquent en particulier des tensions avec les Tongiens et les Samoans, pour deux raisons:
- D’abord, des préjugés culturels. Beaucoup de missionnaires tongiens et samoans étaient au début du 20ème siècle convaincus de leur supériorité physique, mentale et culturelle sur les Mélanésiens, un sentiment renforcé par la conviction d’apporter « la lumière à des peuples dans l’obscurité ».
- Ensuite, les pasteurs samoans bénéficient, dans les villages samoans, de beaucoup d’autorité, d’attention et de dons de la part des membres d’église. Certains d’entre eux s’attendaient à pouvoir instaurer ce type de relations avec les populations de Papouasie Nouvelle-Guinée, et ont suivent suscité des résistances.
Il semble en revanche qu’il y ait eu moins de tensions avec les Fidjiens, les mariages entre hommes fidjiens et femmes mélanésiennes étant assez courants, en particulier chez les missionnaires veufs.
Et puis ces missionnaires ont contribué à introduire de nouvelles habitudes : ils ont enseigné de nouveaux chants, que l’on peut entendre encore aujourd’hui dans ces églises, chants en grande partie inspirés par ceux des églises de Polynésie. Ils ont introduit de nouvelles méthodes de culture, de nouvelles utilisations des plantes, du pandanus, de la fibre de coco. Ils ont diffusé de nouveaux sports comme le rugby et le cricket. Ils ont influencé le style des habitations. Sur l’île de Misima par exemple, au sud-est de la Papouasie Nouvelle-Guinée, on trouve des maisons de style tongien. Le plus souvent, c’est le style fidjien qui a été adopté.
Histoire de Turaliare Teauariki, missionnaire des îles Cook en Papouasie (1963-1975)
T. Teauriki est l’un des derniers missionnaires polynésiens envoyés en Papouasie par une église protestante historique. Son récit a été publié en 1996 par Doug Munro et Andrew Thornley dans un livre intitulé
The Covenant Makers, Islander Missionaries in the Pacific (PTC et University of South Pacific, Suva, Fidji).
En 1962, T. Teauariki est pasteur à Penrhyn, dans les îles du nord des Cook. Il est devenu pasteur à l’âge de 35 ans, après une formation au Takamoa College de Rarotonga – l’école pastorale de la
Cook Island Christian Church (CICC), issue de la LMS.
Quand son épouse et lui partent en 1963, il n’y a plus eu de missionnaires des îles Cook en Papouasie depuis 40 ans et ils y sont les seuls missionnaires océaniens non samoans. Le voyage jusqu’au village reculé de Rouku, dans la région de Morehead River, comprend plusieurs étapes, au cours desquelles il leur est systématiquement rappelé que là où ils vont, les « gens sont sauvages et il y aura des difficultés et des maladies ».
Après trois mois de formation à Rarotonga, ils prennent le bateau jusqu’aux Samoa puis l’avion pour Sydney, où T. Teauariki suit des cours à l’
Australian School of Pacific Administration, l’école de formation des officiers gouvernementaux australiens (Son épouse reçoit une formation en puériculture et infirmerie). Troisième étape, à Port Moresby: un missionnaire blanc en poste depuis 20 ans leur enseigne la langue Motu. À nouveau, on les met en garde: trois pasteurs locaux ont dû quitter la région, « ils ont dit que les gens étaient très sauvages et qu’il y avait beaucoup de dangers ». Quatrième étape, Daru, capitale de la province occidentale, au sud, où des gens de la Morehead River leur apprennent leur langue. Enfin, arrivée à Morehead, où ils sont accueillis par le Patrol Officer australien – c’est lui qui a demandé à l’église locale, la
Papua Ekalesia, d’envoyer un couple missionnaire pour le village de Rouku, où ils se rendent en pirogue.
«Dès le départ – écrit T. Teauriki –, j’ai décidé de vivre près des gens. Quand j’ai vu leur mode de vie, j’ai laissé de côté toutes les leçons que j’avais prévu de leur enseigner parce que j’ai vu que ça ne voudrait rien dire pour eux. Au départ, je n’ai pas essayé de leur donner une éducation chrétienne. J’ai juste essayé de devenir amis avec eux. Je leur ai rendu visite dans le bush parce que c’est là qu’ils étaient toujours. Je m’asseyais avec eux et j’écoutais les hommes parler entre eux pour mieux apprendre leur langue. Je passais mes journées dans le bush. Le matin et le soir, j’avais des prières familiales à la maison et certains d’entre eux venaient et s’asseyaient avec nous. Mais ça ne les intéressait pas longtemps et parfois ils partaient avant la fin.»
Il voulait leur apporter «la vie», il réalise qu’il doit surtout apprendre à vivre avec eux et comme
eux: «personne ne m’a prévenu que ma première idée était fausse»… Plusieurs caractéristiques de la vie à Daru lui paraissent devoir être «civilisés» et on voit concrètement comment les missionnaires polynésiens intro- duisent des changements dans les modes de vie:
- "propreté". « Donc nous avons mangé avec les gens même si la nourriture était sale et que rien n’était lavé. Nous les avons invités à manger avec nous. Au début, Mama [son épouse] voulait que je les emmène à la rivière laver leurs mains avant de manger, mais j’ai dit que nous devions être patients et les laisser manger avec les mains sales ».
- Accouchement et soins des bébés. Son épouse invite les femmes à accoucher chez elle plutôt que dans le bush (de peur que les esprits d’un enfant mort-né ne hantent le village), quelques unes acceptent mais la plupart refusent. Elle leur apprend à laver régulièrement les bébés.
- Tressage et couture. - Son épouse vit avec les femmes, mais évite le bush de peur des serpents. Elle leur apprend à fabriquer des objets tressés en pandanus, fibres de coco et autres plantes, ainsi que la couture, un grand classique de l’action missionnaire en direction des femmes.
- Pacification. Quand il visite les autres villages, accompagné par un Daru qui a vécu cinq ans à Port Moresby, voici comment T. Teauriki se présente :
«Je leur disais que j’étais envoyé là par la Papua Ekalesia et que j’étais venu de Rarotonga pour apporter l’évangile. Je disais que j’étais réellement envoyé par Dieu, par le biais de l’église, et que je leur apportais la Bible. Je leur disais qu’eux et moi étions un seul peuple et que Dieu nous a fait un, et que j’étais venu pour les aider à ne faire qu’un seul peuple avec leurs voisins des autres villages.»
Il a par la suite occupé plusieurs postes, dont celui de superintendent du district de Daru, en 1966 après un intérim assuré par un Samoan (époque où les missionnaires polynésiens accèdent aux responsabilités occupées jusque-là par des Occidentaux). En 1969, on annonce que la Papua Ekalesia a décidé de ne plus faire appel à des missionnaires océaniens et qu’ils n’ont plus droit qu’à un seul séjour de 6 ans. Il rentrent fin 1975, le successeur de T. Teuariki) à la tête du district de Morehead est un Papou.
Son récit est écrit dix ans plus tard, en 1985. Il termine en évoquant les liens établis entre
Cook Islanders et Papous:
«Nous avons été heureux de voir que beaucoup de Papous dont les ancêtres ont reçu les premiers missionnaires des îles Cook souhaitent maintenir un lien avec notre église. En 1982, environ 50 d’entre eux sont venus visiter Rarotonga. En 1984, 147 sont venus. Il est maintenant prévu d’en envoyer encore 147 en décembre 1985. Chaque fois, ils restent deux semaines, comme invités de notre église.»
Pasteurs samoans à Tuvalu, 1865-1899 Dernière histoire de missionnaires polynésiens, cette fois en Polynésie, sur l’atoll de Tuvalu. L’introduction du christianisme sur cet atoll est attribuée à un Cook Islander de la LMS, Elekana, diacre de Manihiki, qui fait naufrage en 1861 au sud de Tuvalu. Formé ensuite au Malua College, il fait partie de l’expédition de 1865 avec le missionnaire Murray et deux «teachers» samoans. À son arrivée, Murray remarque qu’il y a déjà une chapelle, que les Tuvalu ont une bible en anglais et connaissent trois chants dont deux en anglais, sans doute du fait d’un Hawaiien ayant résidé sur l’île.
Aucun missionnaire européen n’a jamais résidé durablement à Tuvalu, la mission a été prise en charge par des missionnaires polynésiens, essentiellement samoans.
On retrouve à Tuvalu les mêmes récits qu’en Papouasie Nouvelle-Guinée sur les attentes des pasteurs samoans vis à vis des paroissiens de Tuvalu, avec l’instauration d’un véritable régime LMS samoan : l’église de Tuvalu est un district de Samoa et les pasteurs samoans accumulent plus d’autorité et de richesses que les chefs locaux. La volonté des Tuvalu de dé-samoanise » leur église ne se réalise qu’après la seconde guerre mondiale : en 1947, un pasteur tuvalu demande à l’église
samoane de rapatrier ses pasteurs, retrait qui débute six ans plus tard.L’église indépendante de Tuvalu,
Ekalesia Kelisiano Tuvalu, qui rassemble aujourd’hui 93% de la population, est fondée en 1969.
Illustrations
Noir et blanc: "Young People with Maiva Shields", Port Moresby 1881-1189, l'une des premières photos de la côte papoue, prise par un missionnaire de la LMS, le Rev. W.G. Lawes (
Peabody Museum).
Cérémonie papoue et
Tuvalu (Vaitupu Island et
Niulakita Island): superbes photos de
Peter Bennets.