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  • Noël aux quatre coins du Pacifique

    noël,christmas,fidiji,pacifique,églises,religion,océanie,polynésie,tahiti,tonga,protestantisme,mormon,samoa,hawaii,sociologie,anthropologieAu centre commercial de Tapoo City, à Suva (Fidji), le Père Noël a enfilé son manteau et ses gants pour accueillir les visiteurs (il est en photo dans le Fiji Sun)... Comme tous les ans, Noël donne lieu dans les îles du Pacifique à des scènes assez surpenantes, où l'on voit surgir des rennes et des traineaux sur fond de cocotiers, tandis que le Père Noël semble à peine se remettre du décalage horaire après un vol très long courrier. Certes, depuis les premières missions du 19ème siècle, le christianisme est bien devenu une religion d'Océanie, un élément central de l'identité océanienne telle que la définissent aujourd'hui les Océaniens. Et les représentations de Jésus et de la sainte famille leur attribuent souvent des traits océaniens. Mais l'imaginaire de Noël, avec ses sapins (on en trouve sur les hauteurs de certaines îles de Polynésie française, notamment, où ils ont été plantés pour freiner l'érosion mais provoquent aussi une acidification des sols), ses guirlandes et son Père Noël, garde un air d'exotisme irréductible.

    noël,christmas,fidiji,pacifique,églises,religion,océanie,polynésie,tahiti,tonga,protestantisme,mormon,samoa,hawaii,sociologie,anthropologieNoël est aussi une fête de famille, l'occasion de retrouver les membres de la famille éparpillée par les migrations internationales ou de donner quelques coups de téléphone en Australie, en Nouvelle-Zélande ou aux Etats-Unis, où se concentrent les plus importantes communautés de Pacific Peoples, migrants majoritairement originaires de Samoa, Tonga et des îles Cook. Sur le site de Tonga News, Lopeti Senituli imagine ainsi un dialogue entre une mère tongienne et son fils installé en Nouvelle-Zélande, qui rappelle l'humour des Petits Contes du Pacifique du Tongien Epeli Hau'ofa: il y est notamment question de Hastings (Hawke's Bay, au nord d'Auckland), où les travailleurs tongiens se retrouvent chaque année pour participer à la cueillette des pommes, et de la collecte annuelle de l'église de village à Tonga, des collectes auxquelles les migrants contribuent très largement.

    - "Combien le village a-t-il récolté d'argent?" demande le fils, qui a envoyé 3000$.

    - "En tout, nous avons eu 65,000$", répond la mère.

    - "Et quel était le montant fixé comme objectif ?"

    - "Le village devait atteindre 35,000$. Est-ce que ce n'est pas magnifique! Nous avons récolté partiquement le double de ce qu'on nous demandait ! N'est-ce pas magnifique ! Comme les gens aiment Dieu !"

    Et comme le fils s'étonne de l'écart entre la somme fixée et les montants récoltés, il s'attire les remontrances d'une mère, qui contrairement à ces enfants exilés, reste attachée à la vie d'église traditionnelle et aux logiques de surenchère que l'on retrouve lors des collectes de la plupart des églises protestantes du Pacifique (voir notamment l'article de G. Malogne-Fer sur la collecte du mê en Polynésie française):

    - "Quoi ? Que dis-tu? Comment oses-tu? Ferme-là ou je vais venir jusqu'à Hastings pour te clouer le bec!  (...) As-tu oublié que ton père est mort en servant l'église! Qu'il a travaillé pendant trente ans de sa vie comme chef des diacres de l'église de notre village pour vous assurer, à toi et à tes frères et soeurs, toutes les bénédictions de Dieu! As-tu oublié tout ça! Et maintenant que tu es un grand monsieur, tu commences à critiquer l'église?"

    Les îles anglophones du Pacifique ont repris la tradition des "Christmas Carols", ces chants de Noël que l'on chante à l'église mais aussi dans les rues, de porte à porte. A Rarotonga (îles Cook), une chorale rend visite aux malades de l'hôpital:

    En Australie comme en Nouvelle-Zélande (où le christianisme a nettement décliné chez les descendants de migrants européens au cours des dernières décennies), les Pacific Peoples constituent aujourd'hui une grande partie des forces vives de beaucoup d'églises protestantes. "Les traditions samoanes font chanter la communauté d'église", écrit ainsi le Canberra Times (Australie) qui a rendu visite à un groupe de jeunes samoans méthodiste occupés à répéter des chants de Noël:

    noël,christmas,fidiji,pacifique,églises,religion,océanie,polynésie,tahiti,tonga,protestantisme,mormon,samoa,hawaii,sociologie,anthropologieA Salt Lake City, aux Etats-Unis (Deseret News), une chorale de Noël samoane accueille la princesse Salote Mafile'o Pilolevu Tuita, soeur du roi de Tonga Tupou V, en visite dans cette capitale mondiale de l'église (mormone) de Jésus-Christ des saints des derniers jours (Tonga est le pays au monde qui compte la plus forte proportion de Mormons, près de 15% de la population).

    Tandis qu'en Nouvelle-Zélande, dans une société qui - du fait des migrations internationales - conjugue aujourd'hui un biculturalisme officiel (entre Maori autochtones et Pakeha, descendants des migrants européens) et un multiculturalisme de fait,  avec une diversité culturelle et religieuse croissante, le East & Bays Courier d'Auckland s'intéresse au Noël des "multi-ethnic families", les familles multiculturelles.

    Et pour finir ce voyage de Noël dans les îles du Pacifique, voici la version hawaiienne d'un des chants de Noël les plus chantés dans le monde, sur fond de paysages hawaiiens:

     

    Bonne année 2012, et à bientôt !

     

    Illustrations: couverture d'une compilation 2007 de chants hawaiiens de Noël; Père Noël hawaiien (Amazon); La Princesse Salote Mafile'o (Ian Stehbens sur panoramio.com).

  • Démocratie à Tonga (post-scriptum): Un gouvernement toujours dominé par la noblesse

    arms Tonga.jpgFin novembre, j'évoquais ici les récentes élections qui ont permis aux citoyens tongiens d'élire 17 de leur 26 représentants au Parlement, tandis que les 33 familles nobles de l'archipel polynésien conservaient 9 sièges. En remportant 13 de ces 17 sièges, le Friendly Islands Democratic Party, parti pro-démocratie conduit par Akilisi Pohiva, semblait assuré de diriger le nouveau gouvernement. Un événement qui devait logiquement parachever les réformes démocratiques lancées par le nouveau roi Tupou V, depuis son accession au trône en 2008.

    Mais l'événement n'a finalement pas eu lieu: les 9 élus nobles ont en effet fait obstacle à la nomination de A. Pohiva aux fonctions de premier ministre et le gouvernement formé fin décembre, Tu’ivakano.jpgdirigé par Lord Tu'ivakano (ci-contre), ne lui accordait qu'un poste de ministre de la santé. Le parti démocratique ne comptait que deux ministres sur onze.

    Après seulement deux semaines d'exercice, A. Pohiva vient de donner sa démission, en protestant à la fois contre cette trop faible représentation de son parti au gouvernement et contre le recrutement, dans le même temps, de deux ministres non élus au Parlement. Le franchissement de la dernière marche vers la démocratie s'avère plus difficile que prévu...

  • Petits contes du Pacifique (Epeli Hau'ofa)

    medium_contes_pacifique.jpgL'écrivain tongien Epeli Hau’ofa, qui est aussi anthropologue, dirige aujourd'hui le Oceania Centre for Arts and Culture qu'il a fondé à l'University of the South Pacific de Fidji à la fin des années 1990. 

    Il a publié en 1983 un recueil de nouvelles intitulé Tales of the Tikongs (contes tikongs), récemment traduit en français et publié en 2006 par les éditions de l'Aube sous le titre Petits contes du Pacifique. Le royaume de Tiko ressemble sous bien des aspects à celui de Tonga, même si l'humour corrosif de Epeli Hau'ofa concerne aussi, plus largement, les petites sociétés insulaires du Pacifique, leurs églises, leurs administrations et leurs relations avec des parrains décrits comme aussi généreux que paternalistes: les puissances régionales (Australie, Nouvelle-Zélande) et les organisations internationales.

    Les églises sont omniprésentes et le décor est planté dès la première nouvelle, intitulée "Le septième jour et les autres", où Epeli Hau'ofa décrit la vie de Sione Falesi, un aristocrate polynésien, personnalité éminente de l'administration et de l'église locales, qui prend soin de respecter la règle voulant que "Tiko se repose six jours et travaille le septième", afin de consacrer l'essentiel de son énergie aux nombreux cultes dominicaux. Entouré de collaborateurs guère plus compétents que lui, Sione Falesi a cette phrase admirable, qui traduit bien les relations entre Tonga et sa diaspora (les îles Tonga comptent environ 100000 habitants, tandis que plus de 40000 Tongiens vivent en Nouvelle-Zélande, près de 20000 aux États-Unis): "Tous nos meilleurs éléments sont en Nouvelle-Zélande"... Argument imparable qui vient justifier ici l'inertie de l'administration.

    Si aucune église n'échappe au regard ironique de Epeli Hau'ofa, les églises protestantes historiques comme la Free Wesleyan Church of Tonga sont assez sévèrement critiquées au travers de "l'église sabbathienne" décrite comme "ennuyeuse, lourde et peu bandante" dans une des nouvelles les plus drôles, "Le voyage d'un pèlerin", qui est aussi la plus sociologique, puisqu'elle évoque la figure du pèlerin - une des figures majeures de la modernité religieuse selon Danièle Hervieu-Léger (Le pèlerin et le converti, la religion en mouvement, 1999) - et raconte le parcours de conversions successives qui conduit un jeune de l'église sabbathienne à rejoindre l'église mormone (qui représente plus de 15% de la population), puis différentes églises pentecôtistes, avant de retourner finalement une fois marié à l'église traditionnelle. Sa motivation essentielle est en l'occurence de lier connaissance avec des jeunes filles, telles que les majorettes mormones ou les jeunes évangélistes pentecôtistes qui jouent de la musique dans les rues (c'est d'ailleurs l'une d'entre elles, des assemblées de Dieu, qu'il épouse). Mais au-delà de cet aspect comique (qui parfois n'est pas complètement sans rapport avec la réalité), ce type de parcours a été observé notamment au sein de la communauté samoane de Nouvelle-Zélande, dans une étude publiée en 2001 dans le Journal of Ritual Studies par Cluny et La'avasa Macpherson.

    medium_hauofa.jpg

    La nouvelle la plus politique, "Les sentiers vers la gloire", met en scène  Tevita Popo, un jeune revenu au pays avec d'importants diplômes étrangers, interpellé par son oncle, puis son père et enfin par un chauffeur de taxi émèché.  Deux extraits :

    "Et puis, mon fils, pourquoi critiques-tu autant le Gouvernement? Pourquoi critiques-tu autant l'Église? Tu prétends vouloir dire la vérité. Mais à quoi sert la vérité à Tiko ? (...) Si tu restes du côté de la vérité, contre Son Excellence et les Grands Chefs, Tiko va te réduire en bouillie."

    "Encore autre chose. Vous aimez tellement parler de démocratie. La démocratie est une idée étrangère. (...) On est à Tiko ici, docteur. (...) Laissez-moi vous dire un truc. La démocratie est une chose extrêment difficile à obtenir à Tiko. Il vous faudra la gagner à la dure, et encore, vous ne l'aurez pas dans cette vie ; pas ici en tout cas".

    Une nouvelle qui fait directement écho aux évolutions de la situation politique à Tonga et aux rôles des diasporas, de la jeune génération dans le développement du mouvement pro-démocratique, mais aussi aux débats autour de la conciliation entre démocratie et tradition ou culture, où l'on voit que, comme le notaient en 1997 Marie-Claire Bataille et George Benguigui, "des partisans fermes et avérés de la démocratie sont également des défenseurs de la tradition, ou du moins de certains de ses aspects et, réciproquement, (…) certains farouches partisans de la royauté sont des modernisateurs actifs."  Depuis ma note du 13 septembre dernier, après la mort du roi Tupou IV, des émeutes ont éclaté en novembre 2006 dans la capitale Nuku'alofa, qui ont entraîné la destruction du quartier des affaires et l'établissement de l'État d'urgence, prolongé en février 2007 pour une durée de cinq mois, ce qui fait craindre de nouveaux affrontements entre militants pro-démocratiques et tenants d'une monarchie sans concession.