Le 20 février dernier, le député indépendant
Taito Philip Field a officiellement déposé auprès de la commission électorale néo-zélandaise les statuts d’un nouveau parti baptisé
Pacific Party et se réclamant des «valeurs chrétiennes». Né en 1952 à Apia (la capitale de Samoa), T. Ph. Field est une figure historique de l’engagement en politique des
Pacific Peoples, ces communautés originaires des îles de Polynésie – principalement Samoa (50%), les îles Cook et Tonga – installées en Nouvelle-Zélande à partir des années 1950 et qui représentent aujourd’hui 6,9% de la population (266,000 personnes). Il a en effet été le premier d’entre eux élu au Parlement en 1993, sous l’étiquette du parti travailliste (
Labour Party) et dans la circonscription d’Otara, un des quartiers du Sud-Auckland où se concentrent les
Pacific Peoples. Ancien ministre associé des
Pacific Islands Affairs, il a régulièrement été réélu depuis, dans la circonscription voisine de Mangere. Il siège aujourd’hui en indépendant après avoir été exclu du
Labour Party en février 2007 à la suite de sa mise en examen pour corruption.
Les
Pacific Peoples ont été à l’origine recrutés en Nouvelle-Zélande sur des contrats de travail temporaires, comme main d’œuvre non qualifiée de l’industrie. Leur situation sociale reste dans l’ensemble modeste, même si on observe une certaine mobilité sociale des jeunes générations vers des emplois de «cols blancs». Dans les années 1970 et à la fin des années 1980, ils ont durement subi les retournements de la conjoncture économique et une politique de libéralisation de l’économie qui a réduit les droits sociaux. Souvent dépendants des aides sociales, ayant aussi gardé en mémoire les positions anti-immigrés de la droite néo-zélandaise à la fin des années 1970, les
Pacific Peoples votent massivement pour le
Labour Party.
Ils ont pourtant été heurtés par certaines initiatives législatives récentes du gouvernement d’
Helen Clark et de ses alliés, lorsque ceux-ci n’ont pas hésité à prendre à rebrousse-poil les valeurs chrétiennes tradi- tionnelles: légalisation de la prostitution en 2003, union civile (ouverte aux couples homosexuels) en 2004 et en 2007 la loi de pénalisation des châtiments corporels sur les enfants initiée par le
Green Party, qualifiée de loi « anti-famille » par plusieurs leaders protestants.
Les Pacific Peoples se distinguent en effet de l’ensemble de la population néo-zélandaise, parmi laquelle une personne sur quatre se déclare aujourd’hui «sans religion» et où la pratique religieuse a sévèrement décliné depuis les années 1970. Le protestantisme pakeha (les Néo-zélandais d’origine européenne) se partage aujourd’hui entre d’un côté des paroisses mainline (anglicanes, presbytériennes et méthodistes) généralement clairsemées et âgées ; et de l’autre la progression des courants évangéliques – au sein même de ces églises ou en dehors, avec notamment le développement de mega-churches urbaines. Les Pacific Peoples au contraire, issus de pays qui ont fait du christianisme (implanté dans ces îles par les missions du 19ème siècle) un élément central de leur identité culturelle, sont massivement présents dans les églises protestantes, au point que celles-ci ont mis en place des structures particulières pour les accueillir (paroisses polynésiennes, instances de représentation nationales). Des églises polynésiennes historiques (Free Wesleyan Church of Tonga, Congregational Christian Church of Samoa, Cook Islands Christian Church) se sont en outre implantées en Nouvelle-Zélande pour accompagner la migration. Les Pacific Peoples constituent donc la grande majorité des pratiquants réguliers et se montrent plus attachés que leurs coreligionnaires pakeha à une définition classique des valeurs chrétiennes.
Sont-ils prêts pour autant à rallier la bannière du
Pacific Party? Jusqu’ici, aucun des partis néo-zélandais se réclamant des valeurs chrétiennes n’a réussi à les détourner du vote travailliste. Il faut dire qu’en dépit de nombreuses recompositions et de quelques tentatives d’alliance avec le centre-droit, ces partis restent
généralement dominés par une droite chrétienne conservatrice dont le programme en matières sociale et économique peut difficilement séduire les
Pacific Peoples. À la fin des années 1990, la création de
Future New Zealand a marqué les débuts d’une stratégie de déconfession- nalisation visant à convaincre des électeurs au-delà du seul cercle des chrétiens pratiquants, en mettant fin à la
Christian Coalition qui associait jusque-là un parti strictement chrétien – le
Christian Heritage Party – et un parti plus modéré, le
Christian Democrat Party.
En 2002, un second pas a été franchi avec la fusion entre
Future New Zealand et le parti centriste
United Future pour former
United Future New Zealand, qui a obtenu 6,69% des voix et huit sièges au Parlement – dont quatre pour des militants chrétiens (majoritairement évangéliques). Mais le parti a éclaté en 2007, pour cause de désaccord sur la loi de pénalisation des châtiments corporels ! Retour à la case départ, avec la reformation de
Future New Zealand (officiellement rebaptisé
Kiwi Party depuis le 15 février 2008) dont un des leaders, Larry Baldock, a lancé une pétition afin d’obtenir un référendum pour la révision de la loi. Tout en refusant d’être réduit à l’étiquette «parti chrétien», le
Kiwi Party entend défendre les «valeurs judéo-chrétiennes». Il a été quitté par sa frange la plus conservatrice, qui s’est rapprochée du parti
Destiny New Zealand lancé en 2003 par la
megachurch pentecôtiste
Destiny Church (voir ma
note du 11 octobre dernier), pour former le
Family Party. Des discussions avancées ont alors eu lieu entre Taito Philip Field et les leaders de ce parti,
qui ont longtemps cru avoir trouvé en lui le chaînon manquant pour faire se rejoindre le vote
pakeha chrétien conservateur et les convictions chrétiennes des
Pacific Peoples. C’est peut-être parce qu’il ne croyait pas à cette possibilité que Taito Philip Field a finalement choisi de créer son propre parti, le seul parti chrétien qui soit issu de la gauche de l’échiquier politique.
Les prochaines élections, qui auront lieu fin 2008, permettront donc de savoir dans quelle mesure les convictions chrétiennes des
Pacific Peoples peuvent être converties en mobilisation politique ou, pour le dire autrement, si leur opposition latente à la sécularisation de la société néo-zélandaise peut prendre un tour plus militant. Elles préciseront également le poids respectif des différents courants du christianisme politique, puisqu’ils n’auront sans doute jamais été aussi nombreux en lice: un courant très conservateur (
Family Party), un courant polynésien (
Pacific Party) et entre les deux, le
Kiwi Party qui considère les «valeurs judéo-chrétiennes» comme le socle à la fois historique et nécessaire de l’identité néo-zélandaise.
Si aucun d’eux ne peut espérer égaler les deux puissants partis qui structurent la vie politique néo-zélandaise – le parti travailliste et le
National Party –, tous rêvent d’être le prochain «
kingmaker» : celui qui, dans le système électoral semi-proportionnel de la Nouvelle-Zélande (MMP,
Mixed Members Proportional, inspiré du système allemand) a en mains les quelques sièges décisifs dont dépend la formation d’une coalition gouvernementale.
Photos: Taito Philip Field ; culte samoan à la Wesley Church (méthodiste) de Wellington (G. Malogne-Fer) ; parlement néo-zélandais (Y. Fer).