Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

polynésie - Page 10

  • Bloggeurs et témoins de Jéhovah aux îles Australes

    loveblogging.jpgPour rester en contact avec leur famille, envoyer des nouvelles à leur église d’origine ou aux donateurs qui les soutiennent financièrement ou simplement tenir un journal de leurs activités, les missionnaires se mettent eux aussi au blogging. Sur son site Internet, le réseau missionnaire (évangélique charismatique) Youth With a Mission, présent dans plus de 170 pays, a même mis en place une plateforme de blogs, baptisée YWAM Connect, qui permet d’accéder aux pages personnelles de ses "équipiers". Généralement destinés à un cercle relativement restreint, ces blogs n’en sont pas moins accessibles à tous les internautes et naviguent du même coup à la frontière incertaine entre vie privée et information publique. Ce qui en fait une source d’informations particulièrement intéressante pour les chercheurs, en leur donnant parfois accès à ce que les anthropologues appellent "les secrets de la tribu".

    Un exemple : en 2006 et 2007, plusieurs notes publiées sur le blog d’un couple missionnaire des assemblées de Dieu américaines en poste à Tahiti exposaient les vives dissensions qui agitaient alors les dirigeants des assemblées de Dieu polynésiennes, divisés notamment sur le rôle respectif des missionnaires étrangers et des pasteurs locaux. Des enjeux d’autorité et de légitimité, pour reprendre les termes du sociologue Max Weber, qui restent souvent confinés aux réunions internes. En août 2007, le couple a quitté Tahiti pour le Vanuatu, en ayant pris soin auparavant d’effacer les notes en question...
    témoins haapiti.jpgToujours en Polynésie, d’autres blogs permettent de suivre depuis quelques mois les tentatives missionnaires des témoins de Jéhovah dans l’archipel des Australes, au Sud de Tahiti. Les premiers témoins de Jéhovah, deux couples américains venus de Los Angeles, sont arrivés à Tahiti en 1958 et une congrégation s’est constituée en 1959 à Papeete. Le renfort de "pionniers spéciaux" venus de France a contribué à partir des années 1960 à l’expansion progressive de ce mouvement : au recensement de 1962, 132 personnes se déclaraient témoins de Jéhovah à Tahiti, 20 personnes à Raiatea (îles Sous-le-Vent). Ils étaient 464 en 1971. Au cours des années 1980, l’église a connu une progression rapide et spectaculaire. Elle représente aujourd’hui autour de 2% de la population polynésienne, soit environ 5200 membres. On la trouve surtout à Tahiti, dans plusieurs îles de la Société ainsi qu’aux îles Australes, en particulier à Rurutu, dans le village d’Avera.


    rurutu.jpgC’est dans cette île de 2300 habitants que vivent les bloggeurs : une famille alsacienne arrivée en décembre 2007 pour prêter main forte à l’église locale et une femme polynésienne, Mauivaitu. Pourquoi ont-ils créé des blogs? Pour les missionnaires alsaciens, il s’agit essentiellement d’envoyer photos, vidéos et nouvelles à leur église. Dans sa note de lancement, Mauivaitu explique quant à elle que son but est de "pouvoir communiquer d'avantage avec [sa] petite soeur qui vit maintenant à 18000 km et qui [lui] manque terriblement. Et, dans un deuxième temps, avoir des contacts avec [ses] frères et soeurs spirituels du monde entier".

    Entre des photos des enfants et des vidéos de balade autour de l’île, on visite la nouvelle "salle du royaume" construite sur les hauteurs du village, qui comprend aussi un studio abritant la famille alsacienne. Le voisin, qui prête sa machine à laver, est un témoin de Jéhovah, ce qui laisse supposer qu’il est celui qui a fait don du terrain. Les membres de l’église se réunissaient jusque-là dans une petite maison, dans une des rues du village. On peut également se faire une idée de leur nombre. Faute de statistiques officielles, il est souvent difficile d’évaluer précisément le nombre de membres réguliers de ces églises minoritaires. Une photo, prise en septembre 2008, montre environ 60 adultes, majoritairement des femmes, soit 2,6% de la population totale de l’île, un peu plus – entre 4 et 5% - si on y ajoute les enfants. Rurutu est un des bastions du protestantisme historique (l’église protestante ma’ohi), très nettement majoritaire, mais compte aussi de petites communautés adventiste, catholique et mormone.

    Mais le document le plus intéressant est incontestablement une note très détaillée publiée en janvier 2008 par Mauivaitu et intitulée "Prédication à Rimatara". Rimatara.jpgRimatara est une petite île (8,6 km2) du même archipel, où vivent un millier de personnes. Là aussi, c’est le protestantisme qui domine, mais le compte rendu que fait Mauivaitu de ses cinq jours de campagne missionnaire sur l’île, du 31 décembre au 4 janvier, mentionne aussi plusieurs Adventistes. Accessible uniquement par bateau jusqu’en 2007, l’île est désormais reliée à Rurutu et Tahiti par les avions d’Air Tahiti, grâce à l’ouverture récente d’un aéroport. Des élèves de Rimatara sont en outre internes au collège de Rurutu. Les témoins de Jéhovah en croisent donc quelques-uns qu’ils ont déjà eu l’occasion d’approcher à Rurutu, de retour sur leur île pour les vacances de fin d’année. Leur méthode consiste essentiellement à faire du porte-à-porte en distribuant des brochures. Mais d’autres éléments d’information permettent de compléter cet aspect le plus connu de leurs activités missionnaires et de mieux cerner l’étape préalable à une implantation officielle  celle où l’église progresse à bas bruit, de maison en maison, d’une famille à l’autre. De cette note, on peut ainsi retenir quatre principaux enseignements:
    - Une organisation hiérarchisée. Les témoins de Jéhovah de Rurutu sont rejoints dans l’avion par le "surveillant de circonscription", venu de Tahiti.

    - Le jeu des relations personnelles. Les témoins de Jéhovah ne plantent pas un chapiteau sur la place du village mais empruntent plutôt, de façon plus discrète, des réseaux de relations, en retrouvant des personnes avec lesquelles elles ont établi un contact et en élargissant leur cercle d’influence à la famille et aux amis. Les migrations inter-îles jouent ici un rôle essentiel, en particulier ceux qui se sont convertis lors d’un séjour hors de l’île et y introduisent ensuite leurs nouvelles croyances.

    - Des "visites téléphoniques". Un week-end passé sur l’île en septembre et des contacts pris à Rurutu ont abouti à la mise en place de "visites téléphoniques", des conversations et des séances d’étude par téléphone. C’est ainsi que Mauivaitu rencontre à plusieurs reprises des personnes qu’elles n’a encore jamais vues, mais avec qui elle s’entretient régulièrement par téléphone, comme cette commerçante: "Nous passons dans la boutique pour faire des achats et je réalise que la mamie qui la tient est aussi une de mes visites téléphoniques".

    - "Etudier la Bible". Classés parmi les mouvements sectaires par un rapport parlementaire français de 1996, les témoins de Jéhovah tourdegarde.jpgsont plutôt considérés en Polynésie française comme une des expressions du christianisme. Si beaucoup de Polynésiens dénoncent leur prosélytisme intensif et le dogmatisme dont ils font preuve lors des discussions de porte-à-porte, ils sont aussi nombreux, tout en appartenant à d’autres églises, à accepter d’"étudier la Bible" dans le cadre des leçons à domicile proposées par les témoins de Jéhovah. L’envie d’en savoir plus, d’approfondir ses connaissances sur la Bible leur ouvre ainsi la porte des maisons polynésiennes, même si ces leçons particulières débouchent assez rarement sur des conversions.

    Le lundi, l’équipe de Rurutu rencontre par exemple une femme adventiste mariée à un protestant. La forte progression des couples mixtes (du point de vue religieux) en Polynésie française produit de plus en plus souvent des interrogations sur la "vraie religion". Ça tombe bien, les témoins de Jéhovah ont apporté dans leur cartable la leçon 13, "Comment reconnaître la vraie religion" et prennent rendez-vous le jeudi suivant pour une séance d’étude ! Des séances apparemment intensives, qui peuvent durer jusqu’à deux heures, si l’on en croit le compte rendu. La mise en place de ces rendez-vous est d’ailleurs le principal objectif des tournées de porte-à-porte.


    blogosphere.jpgVoilà, il ne reste plus qu’à éplucher les milliers d’autres blogs du même style qui, partout dans le monde, remplacent progressivement les lettres missionnaires. Que les historiens se méfient: les informations publiées sur ces blogs sont bien plus volatiles que les recueils de lettres sur lesquels ils ont l’habitude de s’appuyer et peuvent à tout moment disparaître sans laisser de traces.

     

    Photos : salle du royaume à Moorea (Malogne-Fer) et vue aérienne de Rimatara (Tahiti Pacifique).

  • Richard Tuheiava : la jeune génération indépendantiste au Sénat

    tuheiava.jpg

    Richard Tuheiava, 34 ans, a été élu hier sénateur de Polynésie française, au côté de Gaston Flosse, ancien président du gouvernement polynésien, sur la liste commune de l'UPLD (Union pour la démocratie, indépendantiste) et du tahoeraa huiraatira de Gaston Flosse (à qui l'UMP avait refusé son investiture). Cette alliance, qui paraissait aussi incroyable que contre-nature lorsqu'elle s'est mise en place en février dernier, poursuit donc son chemin et a apparemment convaincu les élus locaux polynésiens, pourtant traditionnellement fidèles - par nécessité plus que par conviction - au pouvoir en place, dont ils dépendent financièrement. Cette victoire aux élections sénatoriales souligne la fragilité du gouvernement Tong Sang, soutenu par l'UMP et le gouvernement français, mais appuyé sur une majorité très hétéroclite. Elle annonce sans doute le renversement prochain de cette majorité, minée depuis plusieurs mois par la surenchère d'alliés peu sûrs, exigeant toujours plus de postes, des avantages divers, etc... pour prix de leur soutien à Gaston Tong Sang.

    Avocat à la cour d'appel de Papeete,secrétaire général de la ligue polynésienne des droits humains et (entre autres) membre de la Jeune chambre économique de Tahiti, Richard Tuheiava incarne une nouvelle génération indépendantiste, plus engagée dans la société que dans les manoeuvres d'appareil, associant un héritage culturel et religieux fort avec des compétences indéniables. Les gouvernements Temaru avaient déçu par ce qui semblait être un manque de professionnalisme, une certaine désorganisation. Avec de jeunes cadres comme le nouveau sénateur polynésien, on peut être plus optimiste. Il dispose en tout cas de nombreux atouts pour devenir une personnalité importante de la scène politique locale.

    maupiti.jpgIssu d'une famille originaire de Maupiti (île Sous-le-Vent), Richard Tuheiava a grandi à Moorea, l'île qui fait face à Tahiti. Deux éléments de son parcours personnel et de son arrière-plan familial sont intéressants à noter.

    - D'abord, l'école. Fils d'un directeur d'école primaire, il est aussi le neveu de Sylvia Tuheiava Richaud, maîtresse de conférences en langues et civilisations polynésiennes à l'université de la Polynésie française (auteure d'une thèse de doctorat sur les codes missionnaires polynésiens). Pour devenir avocat, il a fait ses études de droit à Aix-Marseille. Cette réussite scolaire souligne, pour reprendre les termes classiques de l'analyse développée par P. Bourdieu, l'accumulation et la transmission familiale d'un double capital culturel, qui associe système éducatif français et culture polynésienne. Dans un article publié en 2001 dans la Revue juridique polynésienne, intitulée "L'éducation en Polynésie française, socialisation à la dépendance ou à l'indépendance?", Gwendoline Malogne-Fer soulignait les difficultés et les limites de l'adaptation du modèle scolaire français aux réalités polynésiennes. Pour beaucoup d'enfants polynésiens, l'école reste une expérience difficile et un parcours comme celui de R. Tuheiava est encore exceptionnel. Malgré tout, il fait partie de ces jeunes polynésiens de plus en plus nombreux qui atteignent un haut niveau de formation universitaire et constituent peu à peu une relève.

    EPM Maharepa porte.jpg- Le second élément, c'est le protestantisme. Car la famille Tuheiava, c'est aussi une grande famille protestante, où l'on compte des diacres et des pasteurs. Ses parents ont longtemps été très impliqués dans la vie paroissiale à Moorea et Richard Tuheiava est rapidement devenu l'un des avocats de l'église protestante ma'ohi, l'église historique héritière des premiers missionnaires de la London Missionary Society arrivés à Tahiti en 1797. Une église qui rassemble près de 40% des Polynésiens et dont les dirigeants, tout en refusant de devenir un soutien inconditionnel du parti indépendantiste, s'inscrivent clairement dans la perspective d'une indépendance de la Polynésie française en militant fortement pour la défense de la culture et la langue polynésiennes. Alors qu'elle était connue jusqu'en 2004 sous le nom d'église évangélique en Polynésie française, son nouveau nom traduit une volonté d'afficher plus nettement cet engagement.

     

    Illustrations : R. Tuheiava ; vue aérienne de Maupiti ; temple protestante de Maharepa (Moorea)

     

     

  • Pentecôtisme et culture en Polynésie française : nouvel article en ligne

    Tikitiki.gifLa question des relations entre christianisme(s) et culture(s) dans les îles du Pacifique est à la fois un thème classique de l'anthropologie et un point sensible qui suscite réflexions, débats et controverses. Elle touche en effet implicitement à la définition de la culture, voire de l'authenticité culturelle, à partir de laquelle les anthropologues abordent ces sociétés. Décrire le christianisme contemporain en Océanie, surtout les églises les plus récentes où l'articulation entre culture locale et foi chrétienne n'est souvent pas évidente de prime abord, c'est toujours prendre le risque d'apparaître comme quelqu'un qui choisit délibéremment d'ignorer la spécificité culturelle locale en se concentrant sur une sorte de religieux "hors sol". Le pentecôtisme est-il une religion totalement étrangère à la culture polynésienne? Peut-on identifier dans les pratiques des pentecôtistes polynésiens des correspondances avec une culture pré-chrétienne ou avec ce qu'on appelle aujourd'hui la "tradition chrétienne" (incarnée par les églises historiques, comme l'église protestante ma'ohi)? La conversion au pentecôtisme traduit-elle une occidentalisation, une forme d'acculturation, liée par exemple  à l'urbanisation et à l'individualisation des modes de vie ? Ou le pentecôtisme participe-t-il aussi aux recompositions  contemporaines de l'identité culturelle polynésienne?

    Sur toutes ces questions délicates à manier, j'ai publié en 2004 dans le Journal de la Société des Océanistes un article intitulé "Le pentecôtisme en Polynésie française: innovations religieuses et dynamiques du changement socioculturel", qui est maintenant disponible en ligne en cliquant ici. Avec quelques années de recul, les positions prises dans cet article me paraissent aujourd'hui trop tranchées, elles manquent un peu de nuances, en  voulant prendre trop systématiquement le contre-pied des analyses traditionnelles en termes d'opposition culture/importation, acculturation/authenticité. Bonne lecture !

     

    Nb. Le tiki (sculpture polynésienne) en illustration est le logo de la Société des Océanistes, qui publie le journal du même nom.