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Rechercher : jeunesse en mission

  • Sea, church and sun : tourisme et religion en Polynésie

    medium_touriste-eglise.2.jpgLe développement du tourisme de masse, à partir des décennies 1950-1960, a suscité chez les responsables d’églises ou d’organisations missionnaires des réactions souvent inquiètes, voire hostiles, mais aussi des influences croisées et des espoirs plus ou moins réalistes. Petit tour d’horizon des relations compliquées entre touristes et églises dans les îles polynésiennes.
     

    Du touriste au pèlerin ? Les églises entre hostilité et espoir

    En 1969, le conseil œcuménique des églises organisait une conférence mondiale sur le tourisme, qui a constitué un premier repère, avant que ne se mette en place, en 1982, la coalition œcuménique sur le tourisme, l'ECOT ou ECTWT (Ecumenical Coalition on Third World Tourism). La Pacific Conference of Churches, qui rassemble les églises chrétiennes historiques du Pacifique (protestantes et catholique) en fait bien sûr partie et ses prises de position, comme celles des églises membres, suivent généralement les mêmes orientations que celles de l’ECOT. Celle-ci, à l’occasion de la journée mondiale du tourisme, le 27 septembre 2006, a une nouvelle fois affirmé un point de vue extrêmement critique sur l’industrie touristique : un « big business », une entreprise de domination et d’exploitation des communautés locales et de leur environnement. « Ce sont les pays riches qui dictent les paramètres du secteur », écrit-elle, « la libéralisation du secteur du tourisme est potentiellement désastreuse et n’est pas la bonne voie pour faire du tourisme une activité économique soutenable ». Pourtant, un autre tourisme est possible, « fondé sur ce qui bénéficie aux populations, qui protège leur intégrité ». Dans un texte de décembre 2004, le directeur exécutif de l’ECOT, Ranjan Solomon, rêvait d’un touriste qui se convertirait…en pèlerin :

    « Quand des relations justes s’établissent dans le tourisme entre réalisation et responsabilité sociale, alors le tourisme agit comme un acte de pèlerinage au service de la population et de la nature. Car un pèlerin n’est pas un simple touriste. Trois points de distinction me paraissent pertinents :
    - Le pèlerin s’avance avec sensibilité sur la Terre Sacrée et les espaces où il entre – le touriste a tendance à piétiner cet espace sacré.
    - Le pèlerin respecte ses hôtes et acceptent leurs coutumes, essaie d’apprendre d’eux tout en offrant de partager ses propres coutumes. Le touriste voit souvent les coutumes de son hôte comme un bon produit qu’il vaut mieux réserver au spectacle du « evening show » !
    - Le pèlerin est humble et a la patience d’attendre, pour faire les choses, que son hôte soit prêt également. Le touriste peut être pressé, hâtif et même arrogant. »
     
    En Polynésie française, l'église protestante historique (église évangélique de Polynésie française, devenue en 2004 église protestante ma'ohi) s'est élevée à plusieurs reprises contre ce qu'elle considère comme les effets néfastes du tourisme : mauvaise influence sur les moeurs locales (alcoolisme, sexualité débridée et prostitution, jeux d'argent), vente des terres et dégradation de l'environnement. Pour autant, si les paroisses comme Tiroama à Papeete (mentionnée par tous les guides touristiques), apprécient modérément que des touristes en short s'installent le dimanche matin dans le temple, appareil photo en bandoulière, pour "visiter" les mamas en robe et chapeau et écouter les chants polynésiens traditionnels, dans d'autres paroisses, il n'est pas rare que le pasteur prévoit quelques mots de bienvenue, en français ou en anglais, pour des visiteurs qui sont aussi parfois des protestants (notamment américains).
     
    Tourisme et théologie de la culture à Moorea
    Gwendoline Malogne-Fer a consacré la dernière partie de sa thèse de doctorat aux évolutions théologiques récentes de l’église protestante polynésienne historique. Elle s’y intéresse notamment aux circonstances qui ont fait de l’île de Moorea, troisième destination touristique de Polynésie française après Tahiti et Bora Bora, un haut lieu d’une théologie culturelle axée sur la terre et la langue ma’ohi. Ainsi, c’est à Moorea que l’on a le plus de chance d’assister à une célébration de la cène recourant non au pain et au vin mais à la chair et à l’eau du coco ou au ‘uru (fruit de l’arbre à pain). La diffusion de cette « cène ma’ohi » dans la plupart des paroisses de cette île, note-t-elle, est en partie due à « la présence de touristes anglophones dans les paroisses de Moorea (et tout particulièrement dans le temple de Papetoai, souvent cité dans les guides touristiques) [qui] a incité l’église à envoyer sur l’île des pasteurs maîtrisant l’anglais, c’est-à-dire dans les faits, des pasteurs ayant poursuivi leurs études théologiques au Pacific Theological College à Fidji, où ils ont pu se familiariser avec les enseignements de la théologie du coco".
    On peut aussi penser que la forte demande de mise en spectacle de la culture locale exprimée par l'industrie touristique a contribué à ce renouveau culturel, en suscitant par exemple la formation d'associations de danse et en valorisant - même sous une forme stéréotypée - l'identité culturelle polynésienne. Toutefois, on n'observe pas une dynamique comparable dans l'île de Bora Bora, où le tourisme domine beaucoup nettement l'économie et la vie de l'île (Moorea est aussi une île agricole, qui produit notamment des ananas et compte une usine de jus de fruits).
      
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    Island Breeze, "rédemption des cultures" et lu'au à Hawaii
     
    Les relations croisées entre tourisme et christianisme sont encore plus nettes dans le cas de Island Breeze, un ministère de l'organisation internationale Youth With a Mission (YWAM, d'orientation évangélique et charismatique) fondé en 1979 par le Samoan Sosene Le'au avec d'autres étudiants de l'université hawaiienne de YWAM (Kona, Big Island). Il s'agissait de revendiquer la "rédemption" d'expressions culturelles polynésiennes tenues, depuis l'époque missionnaire, à l'écart du temple par les églises protestantes historiques - la danse en particulier - pour en faire une forme légitime de louange chrétienne et un instrument d'évangélisation. A travers l'organisation de spectacles et de formations, Island Breeze a repris très largement les modes de mise en spectacle des cultures polynésiennes développées par l'industrie touristique, tout comme elle a fait sienne l'idée que le tourisme est un formidable vecteur de rencontres et d'échanges interculturels. Ses spectacles célèbrent la diversité des cultures polynésiennes en mettant en scène des danses et des chorégraphies facilement identifiables : hula hawaienne, danse du feu samoane, aka des Maori de Nouvelle-Zélande, tamure tahitien.
    Island Breeze présente deux versants que l'on aurait pu penser inconciliables : d'un côté une contribution indéniable à des mobilisations culturelles en Polynésie et une revalorisation de la culture en milieu protestant évangélique ; de l'autre une entreprise hawaiienne d' "entertainement". Car si dans d'autres pays, comme en Nouvelle-Zélande, Island Breeze se concentre  sur la formation et l'évangélisation, chaque semaine à Kona les touristes se pressent au King Kamehameha’s Kona Beach Hotel pour assister à la lu'au de Island Breeze Productions, une soirée dîner-spectacle animée depuis plus de vingt ans par des danseurs qui sont aussi des missionnaires de YWAM.
     
     
    medium_CICC_Matavera.2.JPGA Rarotonga (îles Cook) : le touriste, futur converti ?
     
    La Cook Island Christian Church n'organise pas de dîner-spectacle pour les nombreux touristes qui visitent chaque année Rarotonga, l'île principale des îles Cook (petit État polynésien associé à la Nouvelle-Zélande), mais plusieurs de ses pasteurs nourrissent l'espoir que leur intérêt pour la culture locale conduise finalement quelques touristes à la conversion. A Rarotonga, assister au culte dominical de cette église protestante historique (et largement majoritaire) est une activité touristique à part entière et cette présence étrangère - parfois importante, notamment au temple d'Avarua, la capitale - ne rebute pas les pasteurs. Au contraire ! Ils n'oublient jamais de traduire une partie au moins de leur prédication en anglais, ce qui permet aux plus jeunes de suivre (la pratique de la langue polynésienne étant en fort recul) mais aussi de s'adresser à ces touristes occidentaux venus de pays où, vu de Polynésie, le christianisme n'est plus ce qu'il était à l'époque de la London Missionnary Society (la LMS qui contribua à la christianisation des îles polynésiennes au 19ème siècle). Convertir les touristes, c'est donc engager, comme le revendiquent aujourd'hui plusieurs organisations évangéliques en Océanie, un "reversing process" qui verra un jour les "extrémités de la terre" re-christianiser l'Occident, aux côtés des missions africaines et asiatiques déjà à l'oeuvre. C'est aussi perpétuer un esprit missionnaire qui du 19ème jusqu'aux années 1980 a poussé plusieurs Cook Islanders à partir évangéliser les îles mélanésiennes (Papouasie Nouvelle-Guinée et salomon en particulier).
     
    A Rurutu (îles Australes), voyage organisé au pays de la tradition protestante
    Dans un article publié par la revue Géographie et Cultures en 2004, G. Malogne-Fer et moi nous étions intéressés aux enjeux du développement touristique sur l'île de Rurutu, dans l'archipel des Australes (Polynésie française) et à cette «mise en fiction du monde» développée par l’industrie moderne du tourisme, qui voit « la conversion des uns en spectateurs et des autres en spectacle», selon les  termes de Marc Augé (L’impossible voyage, le tourisme et ses images, Rivages, Paris, 1997). Suscité par la présence régulière de baleines à bosses, ce développement touristique fondé essentiellement sur des pensions de famille, en dépit de ses proportions encore modestes, n'est pas sans effet sur la représentation de l'île et de sa culture que donnent à voir ses habitants, y compris dans le domaine religieux. Rurutu est en effet connue, comme les îles Australes dans leur ensemble, pour être une terre de tradition protestante, les voyagistes n'hésitant parfois pas à prétendre, comme le faisait il y a quelques années une campagne d'Airmedium_rurutu_landsby.2.jpg Tahiti, que le temps s'y est "arrêté", permettant ainsi aux touristes de visiter, sans avoir à inventer une machine à remonter le temps, "la Polynésie d'autrefois". Dans cette fiction polynésienne et touristique, le protestantisme occupe donc une place centrale et plusieurs événements religieux sont aussi présentés comme des attractions touristiques : le me, collecte annuelle de l'église et la visite des maisons, rituel instauré au 19ème siècle par les missionnaires pour s'assurer de la bonne marche de la "civilisation" (entretien de la maison, objets tressés et décoration, toilettes extérieures, etc.) qui attire aujourd'hui autant de paroissiens que de touristes, trop heureux de pouvoir à cette occasion pénétrer l'intimité de la culture rurutu - où plutôt celle des quelques maisons dont les propriétaires acceptent encore d'ouvrir les portes.
     
     
    (Photos, de haut en bas : cathédrale de Papeete, www.ville-papeete.pf ; Island Breeze Productions ; G. Malogne-Fer ;  www.sydhav.no)
  • Ségolène et la Polynésie : quelques mots sur l'élection présidentielle

    Quelques mots sur les résultats de l'élection présidentielle en Polynésie française. Je vous en avais parlé dans une note du 30 avril 2006, "Oscar Temaru et Ségolène Royal ou le salut par les femmes": la candidature de Ségolène Royal, soutenue par l'Union pour la démocratie (UPLD) de l'ancien président indépendantiste Oscar Temaru, a suscité en Polynésie française une mobilisation inédite: comités Désirs d'avenir, meetings, marches, site Internet... et même une version polynésienne d'un air connu, que vous trouverez ci-dessous en version karaoke, pour tous ceux qui parlent tahitien ou qui souhaitent s'y initier!

     


    Ségolène ROYAL karaoke de TAHITI NUI
    Vidéo envoyée par heinui
    La candidate socialiste avait recueilli au premier tour de l'élection présidentielle, dans l'ensemble de la Polynésie française, 41,64% des voix (contre 45,18% à Nicolas Sarkozy et 7,14% à François Bayrou). Au second tour, elle a obtenu 48,11%, tandis que le taux de participation atteignait un niveau inédit, à 74,68%. Dans la circonscription Ouest des prochaines élections législatives (les communes de l'Ouest de Tahiti, Moorea-Maiao, les Iles Sous-le-Vent et les îles Australes), elle devance même d'une courte tête (50,06%) le candidat de l'UMP.

    Elle est en tête dans l'ensemble des Iles Sous-le-Vent (50,13% et 50,59% à Bora Bora, l'île dirigée par l'actuel président du gouvernement local, Gaston Tong Sang), aux îles Marquises (51,15%) et aux Tuamotu Ouest (52,82%). Sur l'île de Tahiti, plusieurs communes dirigées par les alliés locaux de l'UMP ont également basculé: Hitiaa, Paea, Papara. Nicolas Sarkozy obtient quant à lui ses meilleurs scores dans la commune de Pirae, dont le maire est Edouard Fritch (gendre de Gaston Flosse, Tahoeraa Huiraatira) avec 70,15% et à Punaauia (côte Ouest) avec 59,49%. Trois des cinq îles des Australes ont placé Ségolène Royal en tête et Raivavae lui offre un score impressionnant de 63,36% - Rurutu (dont le maire est actuellement ministre de l'agriculture) et Rapa restant à droite. On peut donc s'attendre à des élections législatives très disputées et à des élections municipales décisives en 2008. Sans parler d'un possible renouvellement de l'Assemblée locale, car une dissolution après l'élection présidentielle était évoquée depuis plusieurs mois.

    Comme le rappelait encore récemment Jean-Marc Regnault, spécialiste de l'histoire politique polynésienne, dans le magazine Tahiti Pacifique, les résultats des élections nationales y sont traditionnellement influencés par des préoccupations locales et par les consignes de vote des tavana, les maires. Ce système politique local s'appuie sur des réseaux familiaux (famille élargie du maire et "chefs de famille" lorsqu'ils conservent une autorité suffisante) et des relations de clientèle (octroi d'aides ou d'avantages contre une fidélité électorale) qui incluent notamment les églises.

    Les subdivisions paroissiales comme les 'amuira'a protestants, en particulier, ont longtemps servi de relais aux maires qui s'en remettaient à l'autorité des diacres responsables de ces  'amuira'a pour obtenir, en échange d'un soutien matériel et financier aux activités paroissiales, un vote en leur faveur. Comme l'explique Gwendoline Malogne-Fer (dans un article à paraître prochainement dans un livre coordonné par Jean-Marc Regnault et Jean Baubérot sur le thème des relations autorité-églises outre-mer), ces pratiques ont amené l'église protestante historique (église protestante ma'ohi) à interdire à ses diacres, évangélistes et pasteurs de se présenter aux élections, à moins d'avoir au préalable démissionner de leurs fonctions ecclésiales. Beaucoup de ces responsables d'église, par ailleurs engagés au côté du parti de Gaston Flosse, se trouvaient en effet en contradiction avec les positions défendues par leur église, sur la question nucléaire en particulier (opposition aux essais nucléaires pratiqués par l'armée française à Moruroa et Fangataufa), puisque les consignes de leur parti politique les empêchaient de participer aux manifestations initiées par leur église.

    Dans les îles éloignées qui craignent souvent d'être "oubliées", comme à Rapa (l'île la plus éloignée des îles Australes, où N. Sarkozy recueille 85,76%), la dépendance accrue vis à vis du gouvernement local renforce encore la force de ces obligations et il est fréquent que le maire incite ses administrés à "bien voter" pour assurer à la commune l'obtention de subventions.

    Pour autant, Jean-Marc Regnault souligne que dans certaines communes, l'électorat apparaît, dès 1995, peu "discipliné" : à Papeete, Arue et Punaauia. Et les consignes de vote des maires perdent peu à peu de leur efficacité - phénomène qu'il observe  dès 1993 dans la circonscription Ouest. L'électoral polynésien est aujourd'hui plus "volatil" et la chute de ce qu'on a appelé le "système Flosse", appuyé sur un contrôle serré des votes par quartier, l'a confirmé en 2004. Cette évolution reflète les transformations de la société polynésienne, perceptibles aussi dans le domaine religieux, avec une émancipation relative des individus vis à vis des structures collectives d'autorité - familles ou autorités ecclésiales - et la volonté de plus en plus répandue d'affirmer une liberté de choix personnelle pour, comme on dit "faire sa vie". Cette tendance, qui conduit à changer d'église, peut aussi bien conduire à changer de vote.

    Enfin, trois autres éléments peuvent expliquer ces résultats du second tour des élections présidentielles en Polynésie française, jugés encourageants pour les soutiens de Ségolène Royal et décevants par ceux de Nicolas Sarkozy:

    - La division des alliés locaux de l'UMP, entre les fidèles de Gaston Flosse et ceux du président Gaston Tong Sang, ce qui a incité celui-ci à déclarer, selon Les Nouvelles de Tahiti: "ces résultats nous invitent surtout à nous mettre ensemble pour faire face aux prochaines échéances électorales, sinon, on va à la catastrophe".

    -  Un intérêt plus fort que précédemment pour les élections nationales et plus spécifiquement pour les débats autour des valeurs devant servir de fondement à la vie sociale, c'est-à-dire à la fois les valeurs de la république - auxquels la grande majorité des Polynésiens sont très attachés - et des valeurs mises en avant par Ségolène Royal telles que la solidarité, l'ordre juste, l'importance de la famille, la jeunesse qui rencontrent en Polynésie française un écho particulier.

    - Enfin, ce que j'évoquais dans ma note d'avril dernier: l'idée qu'en France, comme en Polynésie française, le "temps des femmes" est venu, parce qu'elles jouent déjà un rôle important dans la société et parce qu'elles seraient porteuses d'un renouveau de la pratique du pouvoir, plus pragmatique, plus à l'écoute, plus proche des préoccupations quotidiennes. 

  • La laïcité, un principe à géométrie variable dans l'Outre-mer français (nouvelle publication)

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    C'est l'article 1er de la Constitution qui l'affirme: "La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale". La laïcité, principe fondateur de la république française, suppose à la fois la neutralité de l'État à l'égard des religions et le cantonnement - au moins relatif - de la religion dans la sphère privée. Autrement dit, selon l'excellente formule de Khaled Benchir, "Il faut que la loi puisse préserver la foi aussi longtemps que la foi ne prétend pas dire la loi" (1).

    Alors que les relations entre églises et autorités politiques en France font à nouveau débat depuis les déclarations, disons déconcertantes, de N. Sarkozy, notamment lors des discours prononcés au Vatican le 20 décembre 2007 et devant le Conseil consulatif de Riyad (Arabie Saoudite) le 14 janvier 2008, le détour par l'Outre-mer français sème encore plus le trouble: saviez-vous que la loi de 1905 de séparation de l'église et de l'État n'a jamais été appliquée en Polynésie française? Qu'il existe à Mayotte un statut civil de droit musulman? Et jusqu'à quel point les relations entre coutume, État et Église catholique à Wallis et Futuna sont-elles compatibles avec l'article 1er de la Constitution? Autant d'excellentes questions explorées par le livre collectif édité par Jean Baubérot et Jean-Marc Regnault, qui vient de sortir aux éditions Les Indes Savantes. Ces articles, rassemblés à la suite d'un colloque organisé en avril 2005 à l'IESR (Institut européen en sciences des religions), couvrent l'ensemble des départements, territoires, pays et autres collectivités de l'Outre-mer français à l'exception de Saint Pierre et Miquelon (cliquer ici pour le sommaire). Ils analysent, au-delà des relations entre institutions religieuses et politiques, les pratiques politiques et les perceptions de la laïcité des Français d'Outre-mer.

    10cbe9966fbce8ad9bdf517799f221aa.jpgLa Polynésie française a droit à un chapitre particulièrement étoffé, avec cinq articles. J.-M. Regnault revient d'abord en détail sur l'état quasiment inextricable de la législation en vigueur en Polynésie française, où le tribunal administratif a souvent été amené à trancher entre les interprétations divergentes du représentant de l'État (haut-commissaire de la république), du gouvernement local et des églises. Une législation qui, telle qu'elle est appliquée, autorise par exemple le gouvernement local à subventionner les activités des églises ou encore oblige l'église protestante à soumettre la composition de son conseil d'administration à l'agrément du haut-commissaire...

    Daniel Margueron, dans l'article suivant, apporte un éclairage intéressant sur la manière dont la notion de laïcité est comprise au sein du protestantisme en Polynésie française. Les responsables d'église interrogés soulignent que, même s'il est désormais admis qu'il y a des domaines de la vie sociale où la religion n'a pas sa place (l'école laïque, en particulier), il n'y a toujours pas de mot dans la langue tahitienne pour traduire "laïcité".

     

    "En Polynésie", dit le président de l'église protestante ma'ohi (EPM), Taarii Maraea, "nous n'avons pas connu l'histoire, le contexte qui a créé cette notion de laïcité, apparue en Europe au cours du 19ème siècle. Bien au contraire, c'est une notion étrangère au vécu polynésien, mais c'est quand même une notion importante pour la Polynésie, une notion sur laquelle le protestantisme doit amener sa réflexion car la Réforme a porté les germes de la laïcité. Nous devons donc être porteurs d'une laïcité à la polynésienne et la faire vivre car notre pays a besoin de tolérance, de cette conscience de liberté." (p. 131-132)

     

    Ce point de vue a conduit T. Maraea, en 2004, à prendre position contre la présence d'un crucifix dans l'enceinte de l'assemblée de Polynésie française, un crucifix alors accroché (et finalement décroché devant les réactions qu'il a suscitées) par le nouveau président 6aaad3455bd35dba4e21c6cf3186f29e.jpgde l'assemblée Tony Geros (ci-contre), indépendantiste et catholique. Une position de l'EPM que Bruno Saura, dans son article sur les interactions des espaces politique et religieux en Polynésie française, analyse aussi comme une réaction face à la progression du catholicisme à Tahiti. En tout cas, la laïcité a bien été invoquée au cours de ces controverses, parfois par  des hommes politiques qui y ont vu une façon habile de s'opposer aux indépendantistes en se parant des habits de la "modernité" pour mieux les renvoyer à un supposé archaïsme, mais aussi par des responsables politiques sincèrement convaincus, comme Nicole Bouteau ou Heiura-les verts.

    Gwendoline Malogne-Fer revient justement, dans un autre article de ce chapitre polynésien, sur les difficultés rencontrées par l'église protestante dans ses tentatives de redéfinition des relations entre église et politique, à travers la décision prise en 1996 (et appliquée pour la première fois lors des élections municipales de mai 2001) d'interdire aux diacres, évangélistes et pasteurs d'être candidats à un mandat politique. Elle montre à quel point cette décision a été mal vécue et combattue par beaucoup de paroissiens, notamment dans les petites îles où la conception traditionnelle selon laquelle les diacres sont des autorités morales utiles à la gestion des affaires publiques est encore très forte. Mais cette conception a aussi servi d'appui aux partis politiques, notamment le Tahoeraa Huiraatira de Gaston Flosse, pour enfermer les responsables d'église dans des rapports d'allégeance et de clientélisme dont l'église a souhaité s'extirper. Dans le même temps, elle apparaît toujours plus politique par ses prises de position sur l'indépendance, le nucléaire, etc. Il faut donc se désengager d'un côté pour pouvoir espérer jouer de l'autre un rôle de "sentinelle vigilante" capable d'interpeller la société et les autorités politiques.

    Enfin, j'ai participé à ce livre en analysant les relations entre pentecôtisme et politique en Polynésie française, en montrant notamment comment les assemblées de Dieu, si elles ont été à leur début étroitement contrôlées, voire freinées par les dispositifs de régulation étatique du religieux (en particulier le refus de visas aux missionnaires étrangers), sont finalement apparues à un43dd882cade8bcc45374273885bf679d.jpg moment donné au gouvernement local comme un partenaire utile pour mettre en place des politiques explicitement chrétiennes à destination des jeunes. Le ministre de la jeunesse et des sports du gouvernement Flosse, Reynald Temarii (élu en 2007 vice-président de la FIFA), déclarait ainsi en 2002, à propos de la subvention accordé par son ministère au concert de rock évangélique du chanteur canadien Luc Dumont:

     "Contrairement à la métropole où la laïcité empêche ce genre d'initiative, nous pensons que la foi peut aider au développement de l'enfant et des jeunes".

      

     

     

    (1) Déclaration faite lors de son audition par la commission "Les socialistes et l'individu", 3ème forum de la rénovation du parti socialiste français (20 janvier 2008, compte rendu p. 33).