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christianisme - Page 16

  • D’une église à l’autre, carnet de route Nouvelle-Zélande 2007 (1)

    8615e0cc0a9b34a8845d4211bbb7506f.jpgDimanche 7 octobre, Destiny Church d’Auckland, dans une zone semi- industrielle du quartier de Mount Wellington. Le culte commence à 10 heures, un peu juste pour tous ceux qui ont regardé la retransmission du match France - All Blacks (jusqu’à 9h45 heure locale) et trop dur pour beaucoup de Néo-zélandais atterrés par la défaite de leur équipe. Il manque des fidèles – surtout des hommes – dans le grand auditorium, capable d’accueillir environ 1200 personnes. Le pasteur Richard Lewis, qui remplace ce matin le président-fondateur de l’église Bishop («évêque») Brian Tamaki, a beau dire «les All Blacks ont perdu, la belle affaire» («big deal») et jurer qu’ici, on n’a pas la religion du rugby, mais celle des disciples de Jésus-Christ, il doit quand même en dire quelques mots avant de commencer sa prédication sur le thème du «royaume de Dieu». Dans cette église qui prêche l’évangile de la prospérité, une victoire des All Blacks aurait peut-être fourni une occasion de filer la métaphore sur le thème de «l’équipe gagnante», mais aujourd’hui il faudra faire sans. D’orientation pentecôtiste tendance fondamentaliste, l’église est née et a adopté son nom actuel de Destiny Church au tournant des années 2000, sous l’impulsion de Brian Tamaki, ancien pasteur de l’Apostolic Church. En quelques années, elle a acquis une dimension et une visibilité sans équivalent dans le paysage religieux néo-zélandais. Majoritairement maori, elle compte aujourd’hui près de 10000 fidèles et 19 églises, dont une à Brisbane, en Australie. En lançant en 2003 le parti politique Destiny New Zealand (0,6% aux élections parlementaires de 2005), avec la marche «Enough is Enough» organisée devant le Parlement en août 2004 et de fréquentes déclarations fracassantes sur la nécessité de soumettre lec24597c920afd00d4bd45eedc69e3f9a.jpg gouvernement de la Nouvelle-Zélande aux lois de Dieu, Brian Tamaki est aujourd’hui devenu l’homme que beaucoup de Néo-zélandais adorent détester. Dans une société largement sécularisée, il symbolise un christianisme minoritaire mais très militant, attaché aux valeurs familiales et hostile à la construction d’un pluralisme religieux apaisé entre la multitude de religions présentes dans ce pays d’immigration. Ces réseaux militants ont eu au cours des dernières années plusieurs occasion de se manifester : controverse autour de l’éventuelle suppression de la traditionnelle prière d’ouverture au Parlement (finalement maintenue), loi «anti-smacking», contre les châtiments corporels sur les enfants – qui a suscité une pétition des milieux évangéliques – ou encore, quelques années auparavant, les lois instaurant une union civile.

    4ea71ad7019868cf15e4013adb42135c.jpg Dimanche 7 octobre toujours, 16 heures, à Takapuna au nord d’Auckland. La Every Nation Church, une église charismatique établie en 2000 en Nouvelle-Zélande, n’est pas encore une méga-church (environ 120 personnes) et son culte dominical a lieu dans la salle louée à un collège catholique. Dirigée par un pasteur venu du Texas, l’église a fait ses débuts sur le campus de l’université d’Auckland, en organisant pendant deux semaines une série d’événements pour attirer les étudiants vers l’association qu’elle a créée dans ce but, Victory Campus Ministry. Comme les étudiants du campus, les jeunes de l’église sont de toutes origines, Pacific Islanders (Samoans surtout), asiatiques ou pakeha (les Néo-Zélandais d’origine européenne). L’ambiance est beaucoup moins ordonnée qu’à Destiny Church et résolument tournée vers la culture jeune : musique rock à plein volume, les jeunes sautillent devant la scène. Le pasteur n’intervient que quelques minutes, laissant la parole à l’animateur d’un récent camp de jeunes, puis à plusieurs jeunes venus témoigner de ce que «Dieu a fait pour eux» pendant ce camp, au responsable d’une organisation missionnaire et enfin à un évangéliste venu de Wellington, qui assure la prédication sur le thème de l’accessibilité de l’engagement chrétien. L’église est également implantée dans le sud d’Auckland et compte des «églises sœurs» à Christchurch, Wellington ou en Australie.

  • Tahiti malade de ses politiques ? Entretien avec J.-M. Regnault

    6add8c983b06c4c40d802ecd6d0cbeec.jpgHistorien spécialiste de la vie politique polynésienne, Jean-Marc Regnault est notamment l’auteur d’un livre paru en 2004, Taui ou le pouvoir confisqué, écrit en réaction au renversement du premier gouvernement Temaru (de mai à octobre 2004) et qui a eu un retentissement important en Polynésie française – où il s’est vendu à plus de 4000 exemplaires.
    Dans son dernier livre, Tahiti malade, malade de ses politiques (2007, éditions de Tahiti), il revient sur la situation socio-économique et les mœurs politiques de ce pays d’outre-mer, l’opposition stérile entre «autonomistes» et «indépendantistes», l’héritage des années Flosse, l’expérience décevante des gouvernements Temaru. J.-M. Regnault a en outre coordonné avec Jean Baubérot un ouvrage collectif (à paraître prochainement aux éditions Les Indes Savantes) sur les relations entre églises et autorités publiques dans l’outre-mer français.
    Alors qu’Oscar Temaru vient d’être réélu à la présidence du gouvernement de Polynésie française après à une alliance – de circonstance? – entre les fidèles de Gaston Flosse et celui qui est depuis plusieurs décennies son premier opposant pour renverser, le 31 août dernier, le gouvernement Tong Sang, il paraît utile de faire le point sur l’état actuel du paysage politique polynésien et, au passage, sur les relations entre églises et politique.
     
    (Entretien réalisé le 14 septembre 2008 par Y. Fer et G. Malogne-Fer)
     
    Q. L’alliance entre Oscar Temaru et Gaston Flosse, plusieurs fois évoquée au cours des derniers mois, était-elle un jeu de dupes ou peut-on imaginer qu’elle voit vraiment le jour? Comment peut-on expliquer un rapprochement aussi déconcertant?
    JMR. Tout est possible en Polynésie française, même l’invraisemblable. Cette alliance apparemment contre nature doit être appréciée en fonction de trois angles :
    - Il y a l’aspect tactique, donc effectivement un jeu de dupes entre les deux grandes forces, chacune espérant tirer un bénéfice de ce67910822b2faa0ef660e10f8ee3cdf16.jpg rapprochement peut-être temporaire
    - Il y a le pragmatisme de Gaston Flosse. En 1978, quand il comprit qu’il ne pourrait plus s’opposer à la montée de l’autonomie, il devint «super autonomiste» avec l’idée de capter le mouvement à son profit, ce qu’il réussit. En 2007, il comprend qu’on ne pourra s’opposer indéfiniment au mouvement indépendantiste (et à ses alliés). Sans doute espère-t-il contrôler ce mouvement et le dominer…
    - Il y a l’exaspération de Gaston Flosse à l’égard de l’Etat, chaque fois que le gouvernement central choisit un autre leader que lui-même.
    Le problème est que cette fois, Gaston Flosse est affaibli et qu’il a en face de lui l’UPLD, une force plus importante que la sienne. De plus, c’est l’UPLD qui a davantage de chance de capter l’électorat populaire qui jusque-là votait encore Tahoera’a par clientélisme.

    Q. Gaston Flosse a 76 ans, Oscar Temaru 63 ans, le même âge qu’Émile Vernaudon (qui a souvent joué le troisième homme en ralliant tantôt un camp, tantôt l’autre). Peut-on espérer en Polynésie française l’émergence d’une nouvelle génération politique ?
    JMR. Forcément cela viendra. Mais les mentalités ont été forgées par le colonisateur et ses prolongements : assistance, clientélisme, rapports de soumission au pouvoir central.

    Q. Y a-t-il un décalage entre les aspirations des Polynésiens et le comportement de la classe politique locale?
    JMR. Oui et non. La population est scandalisée, mais en même temps, elle pardonne beaucoup pourvu qu’elle bénéficie des retombées des comportements apparemment aberrants.
     
    f494f5238cce399ab92292489c7223b4.jpgQ. La candidature de Ségolène Royal, qui a recueilli en Polynésie française des scores importants, a semblé y conforté  l’idée que « l’heure des femmes » était peut-être venue. Nicole Bouteau (photo ci-contre) a dû quitter son mandat à l’assemblée polynésienne, Béatrice Vernaudon n’a pas été réélue députée. Que représentent-elles et que peuvent-elles espérer aujourd’hui?
    Le problème hommes/femmes ne se pose pas dans les mêmes termes qu’en métropole. Si une femme a du charisme, elle sera acceptée. Les deux personnes citées disposent d’atouts non négligeables pour jouer un rôle éminent dans les années futures. Il reste à Nicole Bouteau à faire davantage de politique que de morale et à Béatrice Vernaudon à définir une ligne claire.
     
    Q. Durant la dernière présidence d’Oscar Temaru, on a vu se constituer à l’assemblée un nouveau groupe, celui des «îliens», élus des îles dites «éloignées», qui sont aujourd’hui les alliés de Gaston Tong Sang. Faut-il y voir une stratégie de quelques élus opportunistes ou plus profondément, une manière de faire exister à l’assemblée «l’autre Polynésie»: les 25% de Polynésiens qui vivent loin de Tahiti et Moorea, aux Marquises, aux Tuamotu, aux Australes et aux Iles Sous-le-Vent ?
    Comme le disait Alexis de Tocqueville, à défaut d’enrichissement par l’industrie, la politique permet de capter les fonds publics. Tant qu’il n’y aura pas de développement propre des îles éloignées, la politique restera la seule source d’enrichissement, donc la tendance à l’opportunisme n’est pas prête à disparaître.
     
    Q. Le Tavini a choisi pour emblème une croix chrétienne, on sait qu’Oscar Temaru est un catholique fervent et son bras droit Antony Geros, lorsqu’il était président de l’assemblée, avait été jusqu’à accrocher une croix dans l’hémicycle. Le parti indépendantiste est-il un parti chrétien?
    dcd4ce58faa5dc1e93074ee1783d9175.jpgLa croix représente davantage la souffrance que le Christ lui-même. La culture locale, l’histoire locale ne permettent pas de poser les termes du combat politique en termes de luttes de classes, d’oppositions sociales, pas davantage sous l’aspect de de l’affrontement droite/gauche. La culture commune aux Polynésiens étant le christianisme, seul le langage biblique permet aux gens de se repérer.

    Q. Vous vous demandez dans votre livre «comment ce peuple qui se dit chrétien reste-t-il insensible aux rapports accablants contre la gestion du Tahoeraa» (le parti de G. Flosse). La religion occupe une place considérable dans la société polynésienne, mais on a souvent l’impression que les églises n’ont pas réellement d’influence sur les choix politiques de leurs fidèles, simples électeurs ou responsables politiques? Est-ce vraiment le cas?
    La religion est un signe d’appartenance fort. Il entre cependant en concurrence avec d’autres appartenances comme la famille ou le clan. Les Eglises de Polynésie française n’ont guère plus d’influence pour «moraliser» les fidèles que les Eglises n’importe où dans le monde. Si les gens qui assistent aux offices religieux étaient meilleurs que les autres, cela se saurait…
    En PF comme ailleurs, les partisans de telle ou telle personnalité politique imaginent toujours que les reproches faits à leur leader résultent d’un complot organisé par les adversaires. Et, quand ils reconnaissent les faits, ils ajoutent immédiatement que les «autres» ont fait pire…

    Q. La laïcité à la française a-t-elle un sens en Polynésie française?
    La laïcité n’a aucun sens parce qu’elle ne correspond à aucun combat historique. Au contraire même, les Eglises ont plutôt contribué à la protection des autochtones et à la sauvegarde d’une partie de leur patrimoine culturel. Souvent, en Polynésie française, le mot laïcité est synonyme d’athéisme. N’oublions pas non plus que la loi de 1905 sur la Séparation des Eglises et de l’Etat n’a pas été rendue applicable ni que les Eglises comblent souvent les insuffisances des autorités civiles.

    Q. Où en sont aujourd’hui les relations entre les acteurs politiques locaux et l’État ? Y aura-t-il un jour en Polynésie française un « État impartial » et quelle est, au-delà des compétences accordées par le statut de 2004, la véritable autonomie du gouvernement local vis-à-vis de l’État central?
    d1062cb8107ea12950e9c9f0edec2aa3.jpg L’Etat peut-il être impartial tant que les électeurs d’outre-mer peuvent faire ou défaire une élection nationale? Peut-il l’être tant que les dirigeants nationaux n’ont qu’une connaissance limitée des réalités de l’outre-mer? En Polynésie, il y a toujours eu un leader protégé par le gouvernement central et c’est au travers de lui que ce gouvernement entendait contrôler le Territoire. Nicolas Sarkozy n’a pas failli à la tradition et il a immédiatement pris le parti de G. Tong Sang sans chercher à connaître sa représentativité. Le défaut de l’autonomie, c’est d’avoir négligé l’aspect économique. Avec le temps, la dépendance économique et financière n’a fait que croître. Un gouvernement central peut asphyxier tout gouvernement local qui lui déplairait.
     
    Q. L’économie polynésienne, justement, avec un niveau de vie globalement élevé mais de grandes inégalités sociales, dépend énormément des généreux transferts de la métropole. Comment imaginer une indépendance politique dans ces conditions?
    N’était-ce pas une volonté délibérée de G. Flosse de jouer sur le registre d’une autonomie apparente pour contrer les indépendantistes et sur le registre de la prospérité artificielle pour empêcher les électeurs d’envisager une rupture avec la France? L’autonomie économique est sans doute un leurre, mais le bon sens commanderait de la rechercher de façon à se mettre autant que faire se peut à l’abri des aléas de l’histoire future de la France ou du monde.
    L’indépendance politique est toujours possible. Il reste aux acteurs à faire en sorte qu’elle soit la moins douloureuse possible avec la métropole ou l’Europe.
    De toute façon, la revendication indépendantiste ne ressortit pas de considérations réellement objectives. Elle se nourrit de frustrations, de rêves, d’ambitions aussi. Le drame, c’est que l’ancienne puissance coloniale ne comprend jamais à temps les mécanismes qui nourrissent la montée du nationalisme.

    Q. Comment voyez-vous les prochains mois, avec un gouvernement qui n’a toujours pas de majorité stable et l’annonce par le secrétaire d’État à l’outre-mer, Ch. Estrosi, de prochaines élections de l’assemblée locale, selon un nouveau mode de scrutin ? 
    Je ne lis pas dans le marc de café. Toutefois, même si le président n'a pas obtenu la majorité absolue, il semble clair que beaucoup d'élus du Tahoeraa ne souhaitent pas le renverser. Il faudrait toutefois que le nouveau gouvernement aille vite et prenne des mesures courageuses. Son temps est compté si le gouvernement central veut un retour rapide aux urnes, mais il est assez incroyable que ce gouvernement central semble vouloir légiférer sur le système électoral sans en référer à l'assemblée de Polynésie française. Ce qu'il propose est en fait l'organisation du désordre, avec un émiettement voulu des forces politiques (par le biais d'une proportionnelle quasi-intégrale et d'une multiplication des circonscriptions). Voudrait-il démontrer que l'autonomie n'est pas viable qu'il ne s'y prendrait pas autrement. Mais qu'envisage-t-il ensuite? Le jeu est bien dangereux.
     
     
     
    Nb. Illustration État-gouvernement local: la haut-commissaire en Polynésie française avec O. Temaru, à Faa'a.

  • Le pentecôtisme en Polynésie française: quels enjeux pour l'église protestante ma'ohi ? (entretien)

    En avril 2006, Daniel Margueron, directeur du lycée protestant de Tahiti et par ailleurs spécialiste de littérature polynésienne, m'avait soumis quelques questions, pour un entretien à paraître dans le Ve'a Porotetani, le journal de l'église protestante historique de Polynésie française, l'église protestante maohi. Les numéros du Ve'a, qui sortaient à l'origine tous les mois, ont adopté depuis quelques années un rythme de publication épisodique et irrégulier, selon la formule consacrée. Et cet entretien n'a pour l'instant pas été publié. Il le sera peut-être un jour, en attendant en voici le texte.
    (Un problème technique a rendu certains passages de la précédente version de ce texte incompréhensibles. L'erreur a été corrigée, désolé pour ceux qui sont passés avant la correction...)
     
    Daniel Margueron. Qu’est-ce que le pentecôtisme, comment définir le pentecôtisme par rapport au protestantisme?
    Yannick Fer. Le pentecôtisme, ou «mouvement de Pentecôte», est apparu au tout début du XXe siècle dans les États du Sud des 8f04f51d11385da9223cedf46402e2a4.jpgEtats-Unis et la première grande église a ouvert en 1906 rue Azusa à Los Angeles, sous l’impulsion du pasteur noir William J. Seymour. Son histoire est liée à celle du méthodisme, un Réveil protestant qui a eu lieu en Angleterre au cours des années 1730 et a nourri une grande partie de l’enthousiasme missionnaire du XVIIIe siècle – notamment dans le Pacifique : l’église wesleyenne de Tonga, par exemple, porte le nom du fondateur du méthodisme, John Wesley.
    Après la guerre de Sécession qui a déchiré les Etats-Unis de 1861 à 1865, de nombreux méthodistes et quelques baptistes cherchaient une force spirituelle nouvelle et pensaient qu’un retour aux sources du protestantisme leur donnerait les moyens de surmonter lese0917fa1fe5691cfd97a6c2107d7c0f7.jpg bouleversements de l’époque. Certains d’entre eux ont alors fait une expérience qu’ils ont interprétée comme une Pentecôte moderne : au cours de jeûnes et prières intenses, ils se sont mis à «parler en langues», dans un langage incompréhensible. C’est ce que les pentecôtistes appellent le «baptême du Saint-Esprit», parce qu’ils considèrent que c’est le Saint-Esprit qui, en descendant sur le croyant, lui inspire ces paroles et lui accorde un «revêtement de puissance», qui lui permettra de renouveler sa vie personnelle et de participer à la «grande mission» d’évangélisation.
    Le pentecôtisme est donc, historiquement, un mouvement de Réveil protestant, qui se distingue par l’accent qu’il met sur l’action du Saint-Esprit ici et maintenant (parlers en langues, mais aussi guérisons, prophéties). C’est un mouvement protestant évangélique, dans le sens où on utilise aujourd’hui le terme «évangélique» pour parler des protestants qui insistent particulièrement sur la nécessité d’une conversion personnelle (la «nouvelle naissance»), une interprétation étroite de la Bible, le devoir d’évangélisation (y compris vis-à-vis des protestants qui ne sont pas «nés de nouveau») et le salut offert par Jésus-Christ à la croix.
    Depuis maintenant un siècle, le pentecôtisme s’est beaucoup diversifié en même temps qu’il se développait sur tous les continents. Il y a aujourd’hui des centaines de dénominations pentecôtistes différentes, la plus importante étant les Assemblées de Dieu, qui comptent un peu plus de 32 millions de membres dans le monde (environ 200000 en Océanie).

    DM. Comment s’est implanté le pentecôtisme en Polynésie, quelles sont les principales étapes de cette implantation?
    Yannick Fer. En Polynésie française, le pentecôtisme a d’abord été chinois, ou plus précisément hakka. C’est un missionnaire chinois-américain, le pasteur Hong Sit, qui a organisé à Tahiti en juillet 1962 les premières réunions d’évangélisation d’inspiration pentecôtiste, fréquentées par la petite communauté hakka de Béthel (essentiellement des élèves de l’école Viénot et leurs familles), puis par de nombreux Hakkas restés jusque-là à l’écart du christianisme, souvent attirés par l’espoir d’une guérison miraculeuse. Dès la première semaine, 72 personnes se sont fait baptiser par Hong Sit dans une rivière de ba68fd7e034399517bce1ea4888c19f8.jpgPapara, 288 entre juillet 1962 et décembre 1963. Ce groupe est à l’origine de la paroisse de Jourdain (dont le nom a été choisi en référence aux baptêmes par immersion de 1962 et 1963), puis de l’église Alléluia, première église pentecôtiste polynésienne, née en 1967 d’une scission avec l’EEPF.
    La seconde période débute en 1975 avec le recrutement par les dirigeants d’Alléluia d’un pasteur des assemblées de Dieu françaises, Roger Albert, secondé à partir de 1979 par un pasteur de Nouvelle-Calédonie d’origine vietnamienne, Louis Levant. En organisant des réunions d’évangélisation à Papeete et à Taravao, ils ont amené à l’église Alléluia des Polynésiens de toutes origines, jusqu’à provoquer en 1982 une rupture avec les dirigeants de l’église, qui n’étaient pas prêts à renoncer à l’identité hakka d’Alléluia. Les assemblées de Dieu, église pentecôtiste pluriculturelle, sont issues de cette scission. Elles se sont rapidement développées au cours des années 1980, ont ouvert des églises dans les îles Sous-le-Vent, formé des pasteurs locaux et créé en 1997 radio te vevo o te tiaturira’a (RTV), première radio chrétienne de Polynésie française, dont l’audience dépasse largement le seul cercle des membres des assemblées. Les assemblées de Dieu américaines ont elles aussi ouvert une église à Faa’a, le centre chrétien de la Bonne Nouvelle inauguré en 1984. Elle a finalement été intégrée aux assemblées de Dieu de Polynésie française en 2000.
    Enfin, au cours de la troisième période, depuis 2000, on observe l’arrivée (ou le passage) de nombreux missionnaires venus du Pacifique ou des Etats-Unis et l’éclosion de nouvelles églises pentecôtistes : église du Plein Évangile, liée à la First Assembly of God de Maui (Hawaii) ou Calvary Chapel. Les îles françaises du Pacifique sont restées longtemps hors d’atteinte des nombreuses églises pentecôtistes nord-américaines présentes dans les îles anglophones, mais il y aura sans doute à l’avenir, en Polynésie française comme ailleurs, plusieurs pentecôtismes.

    DM. La présence et le développement du pentecôtisme en Polynésie interpellent-ils l’Eglise protestante maohi?
    YF. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles l’église protestante maohi peut légitimement se sentir interpellée par le développement du pentecôtisme. La plus évidente, c’est que la grande majorité des convertis au pentecôtisme viennent de ses rangs : depuis maintenant 25 ans, plusieurs centaines de familles pour qui, jusque-là, l’appartenance à l’EEPF ou l’EPM allait de soi l’ont quittée pour rejoindre les assemblées de Dieu. Un choix qui implique des conflits familiaux, des ruptures douloureuses, surtout dans les petites îles où une bonne part de la vie sociale tourne encore autour des paroisses protestantes, un choix qu’on ne peut pas expliquer seulement par des circonstances particulières, comme la maladie, la dépression, des désaccords ponctuels entre paroissiens et diacres, etc... Ces départs témoignent aussi des évolutions durables de la société polynésienne, de ce que chacun attend aujourd’hui d’une église et de convictions théologiques divergentes.
    La question de l’efficacité, en particulier, a tendance à devenir essentielle et elle se mesure de plus en plus au niveau individuel : que fait l’église pour moi, en quoi peut-elle m’aider à m’en sortir dans cette société du chacun pour soi ? De nombreux domaines qui sont considérés par beaucoup de pasteurs de l’EPM comme «intimes» ou «psychologiques» – donc hors de leur champ de compétences –, comme les problèmes de couple, les relations avec les enfants, la dépression et le mal-être, la timidité, les difficultés professionnelles, etc. sont au contraire revendiquées par les églises pentecôtistes comme des problèmes pour lesquels Dieu, la Bible sont la solution: pas seulement des conseils d’ordre général, mais une réponse personnalisée, un «message de la part de Dieu pour toi, ici et maintenant». Beaucoup de convertis au pentecôtisme ont ainsi l’impression que l’EPM parle beaucoup de la société polynésienne en général, mais n’agit pas assez, concrètement, pour améliorer la situation de chacun.
      Ensuite, quelle vie communautaire offre l’église: un lieu au cœur de la société (au risque d’y retrouver toutes les tensions liées aux relations sociales ordinaires) ou une contre-société (qui en déliant l’individu de ses obligations envers la famille, les ancêtres, le village, remet en cause des solidarités anciennes) ? Il y a, chez les convertis au pentecôtisme, mais aussi de plus en plus chez les croyants de toutes églises, la recherche d’une église dans laquelle on puisse se sentir «libre», afin d’accéder à une expérience qui soit moins «religieuse» et plus «spirituelle». Que ce soit lié à la progression pentecôtiste ou non, l’EPM pourra difficilement faire l’économie d’une réflexion sur les formes d’autorité qui sont aujourd’hui acceptables, car comme l’a souligné le sociologue Max Weber, il n’y a pas d’autorité durable si elle n’est pas, d’une façon ou d’une autre, acceptée par ceux qui la subissent. Or, ce que montre le pentecôtisme, c’est que l’autorité qui est désormais la mieux acceptée, dans la société polynésienne comme dans beaucoup d’autres, est celle qui paraît fondée non sur un statut institutionnel («je suis le chef, donc j’ai raison») mais sur une exemplarité, ce que les pentecôtistes appellent le témoignage («ce que je dis est juste, parce que j’ai un comportement qui en témoigne»).
    288e9ba977fba22a467f11e236b16eeb.jpg Quatrième raison d’être interpellée: la question du sacerdoce universel et de la formation. Avec l’élévation du niveau de scolarisation et de connaissance, beaucoup de Protestants polynésiens voudraient mieux connaître la Bible, en apprendre davantage sur la vie de Jésus, mais sans se retrouver dans un rapport trop hiérarchique de l’élève qui récite devant le maître. Faute de réponses satisfaisantes, ils se tournent vers les librairies (de Paofai, mais aussi les librairies pentecôtistes, adventistes ou catholiques), l’Internet, les cours par correspondance, les cassettes vidéo ou les stations de radio (combien de fidèles de l’EPM écoutent chaque matin Louis Levant sur RTV?). Les églises pentecôtistes répondent sans doute mieux à cette envie d’apprendre, ainsi qu’au désir de participer à la vie d’église, de prendre des responsabilités sans se trouver aussitôt accablé par le poids de la charge et la peur des critiques.
    Cinquième raison (et il y en a sûrement bien d’autres) : la progression du pentecôtisme s’inscrit plus largement dans un contexte de pluralisme. L’historien américain Charles Forman a écrit que le pluralisme est sans doute l’un des plus grands défis auxquels doivent aujourd’hui faire face les sociétés et les églises polynésiennes. Car quand il y a de plus en plus d’églises, la religion n’est plus un facteur d’unité, elle peut devenir au contraire un facteur de division, de conflits, si les églises sont incapables de faire avec cette nouvelle diversité. C’est d’autant plus net avec le pentecôtisme, qu’il s’agit – qu’on le veuille ou non – d’un autre protestantisme. Est-ce que l’EPM est prête à accepter l’idée qu’elle puisse être à l’avenir une des églises protestantes de Polynésie et non la seule «vraie» église protestante, et quelles relations peut-elle nouer avec ces autres protestantismes, évangéliques, pentecôtistes, demain peut-être baptistes, méthodistes?
    Le pluralisme, c’est aussi l’existence en Polynésie de plusieurs langues et de plusieurs cultures. En changeant de nom, l’EPM a-t-elle voulu signifier qu’elle ne serait désormais que l’église des Ma’ohi, tandis que les assemblées de Dieu accueillent indifféremment Ma’ohi, Tinito ou Popa’a, en mettant en avant une identité «en Christ» plutôt qu’une identité ethnique?
    Enfin, le pluralisme ce sont des pratiques religieuses variables, modulables: certains s’identifient comme protestants sans pratiquer autrement qu’en famille, d’autres sont fidèles chaque dimanche ou trois fois par semaine à leur église, d’autres encore circulent dans différentes églises pour se faire leur propre opinion. Et du fait de cette circulation accrue, il y aura de plus en plus, au sein même de l’EPM, une diversité de pratiques et de croyances, il y a d’ailleurs déjà, dans les paroisses, des Évangéliques, des partisans d’une théologie culturelle mao’hi et des Protestants de sensibilité réformée.

    DM. Y-a-t-il un avenir au pentecôtisme en Polynésie?
    YF. En théorie, beaucoup d’évolutions de la société polynésienne actuelle favorisent la progression des églises pentecôtistes. Mais en pratique, celle-ci est aussi limitée par le niveau d’engagement qu’elles exigent de leurs membres, car tout le monde n’est pas prêt à dépenser autant de temps et d’énergie pour la vie d’église. C’est ce qui explique qu’il y ait toutes les semaines à la fois des gens qui se convertissent et d’autres qui «se refroidissent», selon l’expression utilisée par les Pentecôtistes, c’est-à-dire qui prennent une distance plus ou moins grande et plus ou moins définitive avec l’église.
    Ce qui me paraît beaucoup plus facile à prévoir, c’est une progression significative non pas forcément des églises pentecôtistes, mais du protestantisme évangélique ou pentecôtiste lui-même. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il y a aujourd’hui un écart important entre le protestantisme de l’EPM et celui des églises pentecôtistes et il est probable que cet écart se réduise à l’avenir – comme on l’observe par exemple aux îles Cook – avec une progression de la tendance évangélique, que ce soit au sein de l’EPM ou en dehors. Dans son histoire, le protestantisme a toujours été divers, et cette diversité s’est exprimée soit par des églises organisant la cohabitation de plusieurs tendances théologiques, soit (plus souvent) par la création d’autant d’églises qu’il y a d’orientations théologiques.

    DM. Le pentecôtisme s’est-il intégré à la culture polynésienne ou n’est-ce plus nécessaire aujourd’hui pour prospérer?
    YF. Le pentecôtisme polynésien est différent du pentecôtisme français, par exemple, parce qu’il s’inscrit dans une culture polynésienne qui est profondément imprégnée de protestantisme. Ainsi, il peut se prévaloir d’une fidélité à la Bible, ce que les Polynésiens comprennent immédiatement, évoquer les missionnaires polynésiens du 19ème siècle pour encourager les convertis à évangéliser autour d’eux ou rappeler les récits de miracles 75e17b14df180da43d53b7591c8e7956.jpgtransmis par les générations protestantes précé- dentes. En revanche, à l’exception des tendances les plus récentes (l’église du Plein Évangile notam- ment) ou de groupes influencés par Jeunesse en Mission, il ne fait pas preuve d’un militantisme culturel comparable à celui de l’EPM. Sans doute pour se distinguer de l’EPM, les assemblées de Dieu ont tendance à refuser ce qu’elles considèrent comme un repli sur soi et à offrir plutôt une ouverture sur l’extérieur qu’une valorisation de la culture locale. Elles insistent sur la nécessaire rupture avec la culture polynésienne pré-chrétienne, évoquent la lutte contre les esprits liés aux marae, aux tikis, et se montrent assez réticentes vis à vis d’expressions culturelles comme la danse. Les relations entre pentecôtisme et culture s’organisent donc sur la base d’une compréhension assez stricte de ce qui, dans la culture polynésienne, est compatible avec le christianisme.

    Le 29 avril 2006
     

     
    Photos d'illustration 
    - L'église Apostolic Faith Gospel Mission, rue Azusa, au début du siècle (AP Photo/Larry Ross Communications) et W.J. Seymour.
    - Colonie de vacances des assemblées de Dieu à Taravao (Tahiti), 1984 (Photo Raymond Siao, DR)
    - Temple de l'église protestante ma'ohi à Haapiti, Moorea, 2007 (Photo Gwendoline Malogne-Fer, DR)
    - Chorale de Taravao, rassemblement de Pentecôte, Tahiti, 2001 (Photo Yannick Fer, DR)