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culture - Page 2

  • Pain ou coco ? On tourne à Papetoai

    EPM papetoai.jpgLe temple du village de Papetoai, au  nord-est de l'île de Moorea, est un des lieux emblématiques de l'histoire du protestantisme en Polynésie. D'abord, parce qu'il s'agit du premier bâtiment en pierre construit par les missions chrétiennes en Océanie, en l'occurence les protestants de la London Missionary Society, arrivés à Tahiti en 1797. IMG_3237.JPGSa forme octogonale évoque à la fois la couronne royale (rapellant ainsi l'alliance scellée entre le roi Pomare II et les missionnnaires) et la légende de la pieuvre aux huit tentacules dont on dit qu'elle veille sur Moorea depuis les hauteurs du mont Rotui. Le temple de Papetoai est aussi devenu depuis plus de dix ans  l'un des lieux où la revendication d'un protestantisme autochtone (ma'ohi) émancipé de l'influence missionnaire occidentale s'est exprimée le plus fortement: noix de coco.jpgle dimanche matin à Papetoai, on danse au son des 'ukulele et le pain et le vin ont été remplacés par la chair de coco ou le 'uru (fruit de l'arbre à pain) et l'eau de coco. Ce changement des éléments de la cène a conduit en 1999 à une scission, avec la création d'une église dissidente rassemblant les paroissiens attachés à la "tradition protestante": le pain et le vin, mais aussi les chants a capella, les robes missionnaires et la veste pour les diacres et les pasteurs.

    C'est cette histoire qui sert de fil conducteur au film documentaire dont Gwendoline Malogne-Fer et moi avons tourné les images à Moorea entre mi-février et  début mars, avec une équipe de RFO Polynésie (coproductrice du film avec Wapiti Production).

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    La cène en version coco, pratiquée aujourd'hui par quelques paroisses de Polynésie française, est une déclinaison locale d'un mouvement amorcé dans le Pacifique au cours des années 1960-70 autour du Pacific Theological College de Fidji - une institution fondée en 1966 par la conférence des églises du Pacifique (protestantes historiques et anglicanes). C'est là que des théologiens océaniens, en particulier le méthodiste tongien Sione Amanaki Havea, ont élaboré une nouvelle "tradition" en prônant une sorte de décolonisation théologique au travers d'une réhabilitation des cultures autochtones comme moyen d'expression de la foi chrétienne.

    IMG_3032.JPGLa paroisse de Papetoai n'a pas attendu que ce type de discours se diffuse dans les îles de Polynésie française, au cours  des années 1980, pour défendre la langue et la culture locales. Dès 1977, un pasteur des îles Cook, le pasteur Piho (envoyé à Papetoai dans le cadre d'échanges avec son église d'origine, la Cook Islands Christian Church) avait créé un groupe de danse paroissial, les Swing Boys, rebaptisé depuis Tamarii Papetoai ("les enfants de Papetoai"). Mais pas question de danser dans le temple ! Le pasteur maintenait dans le même temps la discipline héritée des missionnaires occidentaux, soucieux d'endiguer la "nature païenne" polynésienne et de domestiquer les corps.

    En revanche, le groupe se produisait régulièrement dans les hôtels, pour récolter des fonds finançant les projets de construction de la paroisse. Car musiciens club med.jpgà Moorea, l'une des trois grandes destinations touristiques de Polynésie française (avec Tahiti et Bora Bora), il n'est pas rare que culture et tourisme se rencontrent, avec des effets parfois inattendus. Le Club Méditerranée de Moorea, ouvert au début des années 1960 entre les villages de Papetoai et Haapiti, a ainsi été jusqu'à sa fermeture en 2001 le principal employeur local. Et les joueurs de 'ukulele de la paroisse protestante sont tous des anciens du Club. Les "GO" polynésiens - animateurs, musiciens, danseurs -  qui ont fait de la représentation de leur culture un métier à part entière ont aussi soutenu le retour de la culture dans le temple.

    IMG_2802.JPGLa culture est-elle plus authentique si on la maintient à l'écart du temple et l'héritage missionnaire doit-il demeurer le socle immuable de la  tradition - protestante et polynésienne ? Ou faut-il passer par une réappropriation militante de la culture dans le temple pour sauvegarder l'identité culturelle autochtone, quitte à prendre quelques libertés avec les formes traditionnelles de la culture ?  Ces questions que se posent les protestants de Papetoai IMG_3175.JPGseront évoquées dans le documentaire au fil de la quinzaine d'entretiens que nous avons filmés. Des responsables d'église et le sénateur Richard Ariihau Tuheiava (qui a grandi à Papetoai où son père était directeur de l'école primaire) nous ont également donné leur point de vue et nous avons rendu visite aux paroissiens du village voisin de Haapiti, qui n'ont pas adopté les changements expérimentés à Papetoai. Au-delà des églises, ces relations compliquées entre christianisme, culture et tradition sont l'occasion d'évoquer la vie quotidienne des habitants d'un village polynésien d'aujourd'hui, en les suivant par exemple à la pêche ou dans les plantations.

    Le montage est prévu dans quelques mois, pour une première diffusion probablement vers la fin 2010.

     

    Photos G. Malogne-Fer, sauf musiciens du Club Med: FortOgden Image Library.

  • Tamariki Oparo: tradition culturelle et histoire missionnaire au heiva de Tahiti

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    "Le demi-dieu Maui, héritier de l'île de Raivavae, rencontra Te-arii-vahine-te-ahura'i. De leur union naquit Taniau puis des jumeaux: Evaarii, l'aînée et Tiarii". C'est ainsi que commence le récit mis en scène par la troupe Hei Tahiti, qui a remporté le 23 juillet dernier le premier prix du heiva i Tahiti 2009, dans la prestigieuse catégorie "heiva nui" (l'élite des groupes de chants et danses de Polynésie française). Plus qu'un spectacle touristique, ce grand rendez-vous culturel est devenu depuis quelques années l'occasion de s'interroger sur les contours de hei tahiti.jpegl'identité polynésienne. La plupart des chorégraphies évoquent des divinités naturelles - le roi de la mer Tinorua face à Arenui, "la grande vague jalouse" (groupe Kei Tawhiti) -, des sacrifices légendaires («six jeunes filles qui renaissent sous la forme d'oiseaux", groupe Ahutoru Nui) ou le dieu créateur polynésien Ta'aroa. Mais si le spectacle du groupe lauréat débute bien sur le demi-dieu Maui et des jumeaux légendaires, il évoque aussi un enjeu très actuel: la sortie progressive de l'indivision foncière et les "affaires de terres" qui divisent les familles, au travers du récit légendaire d'un conflit entre deux frères sur l'île de Raivavae (îles Australes). Et il rappelle en conclusion "la place importante de la religion en Polynésie", c'est-à-dire, dans le cas des îles Australes, le protestantisme implanté par la London Missionary Society au début du 19ème siècle.

    heikura nui.jpegLe christianisme a-t-il sa place dans la représentation de l'authenticité culturelle et de la tradition polynésiennes ? En juillet 2007, l'attribution d'un premier prix au groupe Heikura Nui, pour un spectacle rendant hommage au "grand créateur" de la Terre et à Adam et Eve avait suscité une controverse dans les journaux de Tahiti. Il faut dire que les groupes concourraient alors dans deux catégories distinctes, "patrimoine" et "création", et que Heikura Nui avait remporté le prix "patrimoine"... Les Nouvelles de Tahiti estimaient que le spitz.jpggroupe "n'est plus en catégorie patrimoine, mais s'inscrit de facto en catégorie création" et l'écrivaine polynésienne Chantal Spitz regrettait: "Inclure la Bible dans le patrimoine ancestral est une hérésie qui semble désormais ne plus déranger personne". En tout cas pas le directeur du heiva, qui affirmait dans la Dépêche de Tahiti: "Mais c'est le patrimoine universel ! En Polynésie, nous étions dans le péché jusqu'à ce qu'on reçoive le message de Dieu. Cela fait partie désormais de notre identité mâ'ohi".

    prière rapa heiva.jpgLes catégories "patrimoine" et "création" ont été depuis abandonnées au profit d'une simple distinction entre anciens lauréats (concours heiva nui) et débutants (concours heiva). Tamariki Oparo, la troupe de danse de Rapa - la plus septentrionale des îles Australes - a donné cette année une illustration spectaculaire de la manière dont christianisme et tradition culturelle se sont entremêlés depuis le 19ème siècle dans cet archipel, souvent considéré à Tahiti comme le gardien de la tradition polynésienne. L'anthropologue Alain Babadzan a parlé à propos de Rurutu, une autre île Australe, de la "naissance d'une tuaroi.jpgtradition". J'ai moi-même eu l'occasion de séjourner à Rapa en 1995 avec Gwendoline Malogne-Fer et d'y assister à une série de réunions paroissiales de l'église protestante qui nous a permis d'écrire une étude parue en 2000 sous le titre Tu'aroi à Rapa, conversion au christianisme et conservation identitaire (Haere po, Tahiti).

    La chorégraphie écrite par Pierrot Faraire, instituteur, diacre protestant et chef d'orchestre de la culture rapa contemporaine, mettait en scène la christianisation de l'île, qui commence en 1825 lorsque le capitaine du voilier The Snapper se rend à Rapa à la demande des missionnaires britanniques et revient avec à son bord deux rapa.jpeghommes de Rapa, Paparua et Aitaveru, le fils du chef et son serviteur, qui une fois convertis et formés à Tahiti, contribueront à l'implantation du christianisme sur leur île. Ont-ils été enlevés ? Dans son journal, le missionnaire John Davies évoque un malentendu et écrit que l'équipage les traita "avec gentillesse". Pour John Mairai, qui commente le heiva dans les Nouvelles de Tahiti, ils ont été transportés de force puis "endoctrinés". En magnifiant cet enlèvement et cette séquestration, Pierrot Faraire aurait selon lui "enfilé par-dessus son costume de roseaux sa veste de diacre prosélyte".

    rapa-affiche.jpgDéjà vainqueur en 2006, dans la catégorie "patrimoine" ,Tamariki Oparo a reçu cette année le deuxième prix dans la catégorie "heiva nui". Ses spectacles se singularisent en mettant en scène une authenticité culturelle "sauvage", proche des origines de la danse selon Pierrot Faraire, avec des gestuelles guerrières en partie inspirées des danses maori de Nouvelle-Zélande. La troupe a su ainsi jouer sur la représentation que les Rapa ont d'eux-mêmes mais surtout, sur la manière dont on imagine Rapa à Tahiti. Les précédents spectacles, tout en étant basés sur des récits légendaires, laissaient de temps en temps apparaître des références bibliques implicites, notamment aux dix commandements. Cette fois, en incorporant l'histoire missionnaire au patrimoine culturel de Rapa, Pierrot Faraire a montré que la dissociation entre culture et christianisme n'a pas grand sens pour les Rapa et que les premiers temps du christianisme sur cette île restée "traditionnelle" sont aujourd'hui devenus un récit mythique, qui s'ajoute à une longue tradition orale et peut même parfois se confondre avec des légendes plus anciennes.

     

     

    Illustrations. Photos des troupes Oparo Tamariki et Hei Tahiti: La dépêche de Tahiti ; troupe Heikura Nui: Tahiti Presse ; baie de Rapa: argoulblog.

     

     

  • Christianisme et exotisme

    Intervention le 18 mai 2006 : "Anthropologie du christianisme en Océanie : des églises traditionnelles aux nouvelles églises"

    Qu’ils soient chrétiens ou non, beaucoup d’Européens sont habitués à considérer le christianisme comme une part exclusive de leur patrimoine culturel. Le retrouver sous les tropiques, c’est faire l’expérience un peu déroutante d’une espèce d’exotisme à l’envers : quelque chose de soudain familier (déplacé ?) dans un contexte étranger, ou au contraire une version bizarrement étrangère de quelque chose qui devrait être familier, comme une chanson de Brassens chantée en japonais.
    Pour retomber sur nos pieds, nous avons alors deux tentations : déplorer le fait que des cultures authentiques se trouvent envahies par cette religion occidentale et plaindre les chrétiens non occidentaux de s’égarer si loin de leur identité « naturelle ». Ou pister au contraire dans ce christianisme exotique tout ce qui trahit son origine locale, tout ce qui révèle une culture préservée sous le « vernis » de la conversion.
    C’est entre ces deux écueils que doit naviguer l’analyse sociologique ou anthropologique des christianismes non occidentaux, face à un renversement de situation dont on aperçoit encore mal toutes les conséquences : le christianisme est désormais – et chaque jour davantage – une religion majoritairement non occidentale et si les missionnaires sont encore souvent occidentaux, les missions chrétiennes émergentes viennent d’Asie, d’Afrique et d’Océanie. Elles ambitionnent de re-christianiser l’Occident, où les effets conjoints des migrations et de la sécularisation donnent d’ailleurs de nouvelles couleurs au christianisme.

    C’est en partant de ce constat que j’interviendrai le 18 mai prochain au (FRAO, EHESS), sur le thème « Anthropologie du christianisme en Océanie : des églises de la tradition aux nouvelles églises ».Je reprendrai les étapes suivies par les anthropologues qui, après s’en être d’abord détournés, se sont au cours des vingt dernières années intéressés aux églises chrétiennes d’Océanie. Je décrirai aussi les « vagues » successives – mormones et adventistes, puis évangéliques, pentecôtistes – qui sont venues contester la « tradition chrétienne » élaborée progressivement dans le sillage des missions du 19ème siècle. Et j’essaierai de mesurer les enjeux, pour l’Océanie, d’un pluralisme religieux qui, accentué par la globalisation des échanges et les migrations, constitue peut-être, comme l’a écrit l’historien américain Charles Forman, l’un des défis importants que les sociétés océaniennes ont aujourd’hui à relever.

    Un plan de cette intervention peut être téléchargé ici

     

    (Photo : culte dominical, Church of Melanesia de Tagabe, Vanuatu. Source : COE)