J'ai déjà évoqué ici l'émergence des "christianismes du Sud", où comment la tendance au déclin du christianisme institutionnel observable dans la plupart des sociétés occidentales depuis les années 1960-70 croise aujourd'hui la courbe ascendante des christianismes sud-américains, africains, asiatiques ou
océaniens: notamment à l'occasion de mes enquêtes de terrain en 2007 en Nouvelle-Zélande, où les Pacific Peoples venus des îles polynésiennes représentent désormais une large part des forces militantes des églises chrétiennes (voir par exemple la note sur le West City Christian Centre une méga-église multiculturelle d'Auckland); ou encore à propos du réseau évangélique Jeunesse en Mission, du mouvement Island Breeze et de ces évangéliques charismatiques qui dansent la hula.
Parce que l'Occident semble à leurs yeux en voie de déchristianisation, que le christianisme s'est ancré au fil du temps dans les cultures locales, ces chrétiens du Sud sont désormais nombreux - surtout en milieu évangélique, mais pas seulement - à regarder les anciennes puissances colonisatrices et missionnaires comme de nouvelles terres de mission. Ils revendiquent aussi, de plus en plus souvent, le christianisme comme une part de leur identité culturelle distinctive, ce qui marque une rupture avec le discours classique du protestantisme évangélique sur la "nouvelle identité en Christ", synonyme de mise à distance des traditions et des appartenances culturelles "obligées".
Les anthropologues des christianismes africains ont été parmi les premiers à s'intéresser à ces nouvelles dynamiques religieuses. Ils ont aussi été amenés à suivre la piste des migrations internationales, en étudiant notamment les églises implantées par les migrants africains en Europe. Un numéro spécial des Archives des sciences sociales des religions paru en 2008, sur le thème "Christianismes du Sud à l'épreuve de l'Europe" et plus récemment, le livre collectif Chrétiens africains en Europe, édité par Sandra Fancello et André Mary, ont montré l'étendue et l'intérêt de ces nouveaux champs de recherches.
C'est dans le prolongement de cette réflexion collective que s'inscrit la journée d'étude "Protestantisme évangélique et diversité culturelle" que j'organise avec Gwendoline Malogne-Fer, le 19 octobre prochain à la Maison de la recherche de l'université Toulouse le Mirail. Vous trouverez ci-dessous l'argumentaire et le programme détaillé de cette journée, qui donnera lieu à une publication. Le programme peut aussi être téléchargé ici.
- Argumentaire -
Les flux migratoires et le dynamisme des christianismes du Sud ont profondément transformé, au cours des dernières décennies, la physionomie du protestantisme évangélique. Sa diversité théologique, accentuée par l’essor des mouvements pentecôtistes/charismatiques, s’entrecroise désormais avec une diversité culturelle tout aussi importante, rendant souvent incertain le tracé des frontières entre altérités culturelle et religieuse. Il n’est pas rare que le protestantisme évangélique, s’éloignant ainsi de son traditionnel tropisme individualiste et universaliste, se trouve aujourd’hui engagé dans des processus de reformulation religieuse des identités culturelles, notamment en contexte diasporique. Ces relations complexes entre protestantisme évangélique et diversité culturelle se jouent à plusieurs échelles : dans l’espace urbain, le cadre national, les circulations transnationales et/ou les réseaux mondialisés. Elles concernent à la fois la gestion interne des églises ou fédérations d’églises et les rapports interreligieux dans les sociétés plurielles. Dans le champ religieux, les acteurs évangéliques semblent osciller entre l’institutionnalisation de la diversité culturelle (qui peut conduire à une ségrégation de fait) et celui de l’indifférenciation culturelle (au risque de confondre universalisme et culture dominante), en passant par des expressions nationales ou ethniques de la foi évangélique. Au niveau sociopolitique, le militantisme missionnaire et les réticences envers l’œcuménisme, renforcés par l’influence de la théologie du "combat spirituel", paraissent souvent entraver la participation des acteurs évangéliques aux initiatives de dialogue interculturel et interreligieux.
- Programme -
Introduction (9h30-9h45). Yannick Fer (GSRL) et Gwendoline Malogne-Fer (GSRL), coordonnateurs de la journée.
Session 1 : circulations, mobilités et réseaux informels (9h45-11h15). Discutant : André Mary (LAHIC)
- Bernard Coyault (EHESS). « Du nomadisme ecclésial dans la diaspora congolaise en France : entre pragmatisme religieux et subversion des identités assignées ».
- Bernard Boutter (CSRES-Strasbourg). « Les églises évangéliques charismatiques issues des migrations africaines en France : diversité des stratégies et réseaux informels ».
Session 2 : entre dépassements et revendications culturels (11h30-13h00). Discutant : Patrick Cabanel (FRAMESPA)
- Valérie Aubourg (Université de la Réunion). « Les églises évangéliques charismatiques à l’île de la Réunion : une expression créole de la foi pentecôtiste ».
- Sébastien Fath (GSRL). « L’enjeu de la diversité culturelle dans le protestantisme parisien : l’exemple de l’église baptiste de l’Avenue du Maine »
Session 3 : migrations et gestion du pluralisme religieux (14h30-16h30). Discutants : chantal Bordes-Benayoun (LISST-CAS) & Eckart Birnstiel (FRAMESPA)
- Julie Picard (EHESS/LISST). « Du repli identitaire à l’ouverture copte : migrants subsahariens chrétiens et diversification des protestantismes évangéliques en Egypte ».
- Sarah Demart (Université de Liège). « Pluralisme évangélique et concurrences missionnaires : l’insertion des églises ‘congolaises’ dans le champ protestant belge ».
- Géraldine Mossière (Université de Montréal). « Spatialisation et déterritorialisation des acteurs du pentecôtisme congolais à Montréal : une géographie des rapports ethniques et sociopolitiques ».
Conclusion. Jean-Pierre Albert (LISST-CAS)
Illustrations: danseuses polynesiennes d'Island Breeze ; culte dominical de la Church of Melanesia de Tagabe, Vanuatu (COE).
Le samedi 6 août 2011, quatre jeunes Kanaks sont morts sur l’île de Maré (Nouvelle-Calédonie) à la suite d’affrontements entre un collectif d’usagers d’Air Calédonie (Aircal) qui bloquait l’aéroport local et des habitants du district de Guahma venus les déloger. Dans un premier temps, les médias ont évoqué les tensions nées de ce blocage (maintenu depuis le 22 juillet) pour expliquer l’explosion de violence: un mouvement de protestation contre la hausse des tarifs mise en place dans le cadre du redressement de la compagnie aérienne, qui relie notamment les îles Loyauté (dont Maré fait partie) à Nouméa et représente donc un enjeu important pour les habitants de ces îles. Puis des comptes rendus plus approfondis ont été publiés, comme
cet article du 9 août (
des îles Cook, envoyés par la London Missionary Society. Ils sont arrivés à Maré en 1841 et ont été accueillis par le chef Naisseline (ancêtre de l’actuel chef de l’île) qui s’est converti au protestantisme. Des missionnaires britanniques les ont rejoints en 1854. Trois ans plus tard, l’implantation de la mission catholique dans les îles Loyauté, soutenue par la France (qui avait annexé la Nouvelle-Calédonie en 1853) crée de vives tensions sur l’île : les distinctions religieuses recoupent des rivalités internes, entre chefferies kanakes, et suscitent des conflits fonciers. Quand deux missionnaires maristes cherchent à s’implanter en s’alliant avec un chef opposé au protestantisme, devenu majoritaire sur l’île, ils sont rapidement accusés d’avoir empiéter sur le territoire du chef protestant Naisseline, et doivent quitter l’île en 1870. A leur retour en 1875, les tensions ressurgissent, au point que le gouverneur décide de tracer des lignes de démarcation. Les troubles se poursuivent tout au long des années 1870 et 1880.
observable dans la plupart des sociétés océaniennes: d’un côté, les appartenances religieuses produisent ou renforcent des divisions, notamment au sein des communautés insulaires, des villages. De l’autre, le christianisme est devenu dans beaucoup d’îles du Pacifique une référence commune, inscrite dans les Constitutions des Etats océaniens comme un élément fondateur de l’identité nationale. Une référence qui peut donc permettre – en dépassant les distinctions confessionnelles – d’apaiser des conflits et de surmonter de graves divisions.
Dans un chapitre que j’ai publié cette année («Religion, Pluralism and Conflicts in the Pacific Islands») dans le
inédite, rompant avec la barbarie des affrontements antérieurs. Les missions chrétiennes ont effectivement éradiqué les violences rituelles et imposé par des jeux d’alliances politiques une «Pax Christiana» en unifiant les communautés insulaires, le plus souvent sous l’autorité d’un roi converti. Mais elles ont aussi contribué dans beaucoup d’endroits, au moins dans un premier temps, à raviver des rivalités et des tensions entre communautés, désormais divisées aussi par les frontières confessionnelles.
Le cas le plus exemplaire est sans doute celui des îles Salomon, où la Solomon Islands Christian Association, qui regroupe un ensemble d’églises représentant 90% de la population de cet Etat mélanésien, est intervenue au tournant des années 2000 pour apaiser une grave crise politique et mettre fin aux affrontements entre les milices de Malaita et celles des habitants de Guadalcanal qui cherchaient à expulser ces communautés migrantes installées notamment près de la capitale Honiara. Les responsables d'églises chrétiennes réunis en équipe interdénominationnelle (dirigée par un pasteur
adventiste) sont alors apparues comme les seuls acteurs capables de dépasser les clivages insulaires pour renouer le dialogue entre les belligérants et aboutir à un accord de paix en octobre 2000. Les Melanesian Brothers, un ordre religieux anglican, ont en outre gagné au cours de cette crise une aura considérable, en s’interposant constamment entre les milices et en libérant de nombreux otages. Une aura qui a pris en 2003 la dimension du martyr, quand sept frères ont été assassinés par un adversaire irréductible des accords de paix.






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