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Yannick Fer - Page 12

  • Du Pacifique à la Réunion: les nouveaux visages du christianisme contemporain

    thèse3.jpgJ'ai eu la chance, ces derniers mois, de participer aux jurys de soutenance de deux thèses qui, sur des terrains très différents, analysent deux évolutions importantes du christianisme contemporain: l'essor d'un "christianisme du Sud" et l'expansion des mouvements pentecôtistes/charismatiques.

    Le 14 février, Gilles Vidal soutenait à l'université Paul Valéry de Montpellier une thèse (en MConViwa 8614.jpghistoire et en théologie) sur les théologies contextuelles dans le Pacifique Sud, qui a reçu la mention "très honorable avec félicitations". L'apparition de ces théologies, encouragées après la Seconde guerre mondiale par des organisations comme le COE (Conseil oecuménique des églises), s'inscrit dans le contexte de la décolonisation. Elle vise à dissocier le christianisme et la culture occidentale dont étaient porteurs les missionnaires occidentaux envoyés dans les pays du Sud, en ancrant plus profondément la compréhension du message chrétien dans les cultures locales. En Océanie, c'est à partir des années 1960-70,  autour duMConViwa Banner.jpg Pacific Theological College de Fidji (où ont été formés de nombreux pasteurs des églises protestantes océaniennes), que ces théologies se sont développées, sous l'impulsion de nouvelles figures intellectuelles, comme les théologiens méthodistes Sione ‘Amanaki Havea (Tonga) et Sevati Tuwere (Fidji).

    A travers leurs interprétations de la Bible, ces intellectuels ont en fait participé à la définition des identités autochtones dans le Pacifique Sud contemporain, en lien avec les indépendances MConViwa paysage.jpgpolitiques. Mais ces "nouvelles traditions" ont souvent suscité de fortes réticences dans les églises locales, habituées à considérer l'héritage missionnaire - et la tradition chrétienne née de sa rencontre avec les cultures locales depuis le 19ème siècle - comme une part essentielle de leur identité. C'est cette histoire que raconte le film documentaire "Pain ou coco" que j'ai réalisé récemment avec Gwendoline Malogne-Fer (et dont je vous ai déjà parlé ici).

    Gilles Vidal a réalisé un travail considérable de recensement et d'analyse de tous ces discours théologiques océaniens, ce qui permet de prendre la mesure du champ intellectuel auquels ils ont donné vie: un espace de débats où l'on voit aujourd'hui des dizaines de théologiens océaniens s'interroger, chacun à leur manière, sur l'entrecroisement entre cultures et christianisme. Parmi cette MConViwa femmes.jpgproduction abondante, on retiendra notamment la montée en puissance des théologies féminines ou féministes, qui revendiquent un examen critique des rapports de genre à la lumière de nouvelles interprétations bibliques et d'un réexamen critique de "traditions culturelles" qu'elles jugent souvent trop imprégnées des valeurs inculquées par les missionnaires occidentaux (un sujet auquel s'est également intéressée G. Malogne-Fer: voir cette note de 2008). uru quilt.jpgL'éco-théologie du Samoan Tofaeono Ama’amalele retient elle aussi l'attention, par la manière dont elle associe des préoccupations environnementales globales, les conceptions culturelles samoanes et des interprétations bibliques inspirées par toute une série d'auteurs contemporains. On peut trouver la thèse de doctorat de A. Tofaeono ("Eco-Theology: AIGA - The Household of Life. A Perspective from Living Myths and Traditions of Samoa", soutenue en 2000 à l'université allemande Augustana) sur Internet, en cliquant ici.

    Le 25 mars, Valérie Aubourg a quant à elle soutenu une thèse en anthropologie et ethnologie, nd délivrance.jpgà l'université de la Réunion, et a reçu, elle aussi, la mention "très honorable avec félicitations", pour un travail remarquable sur les christianismes charismatiques sur cette île française de l'Océan indien, en terrains protestant et catholique. Mes collègues Sébastien Fath (qui faisait comme moi partie du jury) et Bernard Boutter (auteur en 1999 d'une thèse pionnière sur les assemblées de Dieu réunionnaises) en ont déjà parlé sur leurs blogs, ici et.

    Le christianisme charismatique s'est implanté tardivement à la Réunion: le pentecôtisme en 1966 sous la houlette du missionnaire Aimé Cizeron, des assemblées de Dieu françaises ; le renouveau charismatique en 1974, par le biais de la soeur franciscaine Marie-Lise Corson qui a alors fondé un groupe de prières, après avoir rencontré à Paris la communauté charismatique de l'Emmanuel. Il s'est depuis considérablement développé, sur son versant protestant (la Mission Salut et Guérison, appellation locale des assemblées de Dieu, compte aujourd'hui 22000 membres), comme sur son versant catholique. Mais surtout, depuis les années 1980-90, il s'est considérablement diversifié, se dispersant en hosanna fath.jpgune multitude de groupes que V. Aubourg a explorés avec minutie pour en établir à la fois la généalogie et la cartographie. Il apparaît ainsi que beaucoup des nouvelles églises charismatiques indépendantes se concentrent dans le Sud de l'île, où l'on observe ce que V. Aubourg appelle un "terroir charismatique", qui renvoie à un ensemble de dispositions particulières héritées notamment de l'histoire des structures agricoles dans cette partie de l'île, marquée par une mentalité plus entrepreuneriale et indépendante qu'au Nord.

    On voit aussi comment chaque versant de ce christianisme charismatique s'est au fil du temps réinscrit dans sa matrice religieuse d'origine, en réaffirmant ainsi l'écart entre protestants et catholiques. Avant qu'une nouvelle vague de mouvements charismatiques (dont certains embrase 2011.jpgconnectés à des réseaux charismatiques oecuméniques comme "Embrase nos coeurs") ne vienne à nouveau relativiser cette frontière catholique/protestant, autour des thèmes de la guérison et du combat spirituel. Enfin, la thèse de V. Aubourg s'intéresse aux circulations des convertis, d'une église à l'autre, et aux relations complexes que ces mouvements entretiennent avec la culture religieuse créôle de la Réunion, qui encourage les échanges, combinaisons, hybridations... Bref, une plongée passionante dans un milieu religieux et culturel complexe, dont on attendra avec impatience les prolongements en termes de publications.

     

    Illustrations: thèses (site du CEFE) ; 4 suivantes, photos de la 3ème Pacific Mission Conference à Viwa Island (Fidji) en 2010 (site du PTC) ; broderies, motifs en formes de fruits de l'arbre à pain (Seacology Island Environment Blog) ; Eglise  Notre-Dame de la délivrance à St Denis (willgoto) ; culte à l'église charismatique Hosana de St Pierre (blog de S. Fath) ; affiche de la conférence "Embrase nos coeurs" 2011.

  • Pain ou coco en mars sur Polynésie 1ère

    pain ou coco 6b.jpgLa diffusion du film documentaire "Pain ou coco, Moorea et les deux traditions", que nous avons réalisé Gwendoline Malogne-Fer et moi, est annoncée le 3 et le 5 mars 2011 sur Polynésie 1ère (nouveau nom de RFO Polynésie), dans le magazine Patitifa animé par Gilles Marsauche.

    Je vous en parlais ici en avril dernier, après le tournage: ce film donne la parole aux habitants de Moorea, membres des paroisses protestantes des villages de pain ou coco 2b.jpgPapeotai et de Haapiti ou de l'église protestante dissidente de Papetoai, pour cerner les enjeux d'une histoire qui a débuté en 1999. Cette année-là, en effet, la paroisse de Papetoai s'est divisée en deux, entre partisans et opposants de la "sainte-cène ma'ohi": un changement des éléments de la cène (la communion protestante), le pain et le vin étant remplacés par de l'eau et de la chair de noix de coco.

    Pain ou coco? La question dépasse le cadre des débats de théologiens et renvoie à l'articulation complexe entre le christianisme - présent en Polynésie française dès la fin du 18ème siècle, avec l'arrivée des premiers missionnaires en 1797 - et la culture locale. Onze ans après la scission,  le documentaire revient donc sur la vie quotidienne des habitants de ces villages qui, chacun à leur manière, tentent de concilier culture IMG_3213-bis.jpgpolynésienne et héritage chrétien: en version "renouveau culturel ma'ohi" pour la paroisse protestante de Papetoai (avec guitares, ukulele et pareo) ou en version "traditionnelle" pour les dissidents de Papetoai et la paroisse protestante voisine de Haapiti (chants a capella, pantalons, robes longues et chapeaux pour les femmes). Le film montre notamment comment le tourisme, à travers le Club Med (implanté à Moorea jusqu'en 2001) a lui aussi participé indirectement à l'évolution des représentations locales de la culture, jusque dans les temples protestants.

    A l'occasion de cette diffusion, nous avons mis en ligne un nouvel album photo,  intitulé lui aussi "Pain ou coco", qui présente quelques photos du tournage.

     

    P.S. (mise à jour). "Pain ou coco" est de passage à Wallis et Futuna le 20 mars (Wallis et Futuna 1ère), à la Guadeloupe (prochaine rediffusion le 23 mars, sur Guadeloupe 1ère) et en Nouvelle-Calédonie le 31 mars à 20h (rediffusion dimanche 3 avril à 9h42), sur Nouvelle-Calédonie 1ère. A St Pierre et Miquelon, ce sera le 30 avril à 18h24.

  • Démocratie à Tonga (post-scriptum): Un gouvernement toujours dominé par la noblesse

    arms Tonga.jpgFin novembre, j'évoquais ici les récentes élections qui ont permis aux citoyens tongiens d'élire 17 de leur 26 représentants au Parlement, tandis que les 33 familles nobles de l'archipel polynésien conservaient 9 sièges. En remportant 13 de ces 17 sièges, le Friendly Islands Democratic Party, parti pro-démocratie conduit par Akilisi Pohiva, semblait assuré de diriger le nouveau gouvernement. Un événement qui devait logiquement parachever les réformes démocratiques lancées par le nouveau roi Tupou V, depuis son accession au trône en 2008.

    Mais l'événement n'a finalement pas eu lieu: les 9 élus nobles ont en effet fait obstacle à la nomination de A. Pohiva aux fonctions de premier ministre et le gouvernement formé fin décembre, Tu’ivakano.jpgdirigé par Lord Tu'ivakano (ci-contre), ne lui accordait qu'un poste de ministre de la santé. Le parti démocratique ne comptait que deux ministres sur onze.

    Après seulement deux semaines d'exercice, A. Pohiva vient de donner sa démission, en protestant à la fois contre cette trop faible représentation de son parti au gouvernement et contre le recrutement, dans le même temps, de deux ministres non élus au Parlement. Le franchissement de la dernière marche vers la démocratie s'avère plus difficile que prévu...