Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

polynésie - Page 5

  • Tahiti : Retour sur l'histoire du pasteur pentecôtiste "invité" chez les Catholiques

    god_love_sex_card_front_copy_1.jpggod_love_sex_card_back_copy.jpg

    A la suite de ma note intitulée "Tahiti: Quand les Catholiques invitent un pasteur pentecôtiste pour parler sexualité", j'ai reçu  hier d'Aline Cicero, en commentaire, ce qu'on peut considérer comme un droit de réponse. Je reprends donc cette note. Voyons où sont les erreurs et quels enseignements on peut en tirer (mes commentaires sont en gris, le texte initial est en clair):

     La note débutait sur les articles publiés par les journaux locaux: jusque-là, pas de problème, sauf que - comme on verra plus loin - si ces réunions ont bien lieu dans un local catholique, elles ne sont pas pour autant organisées par ou pour l'église catholique.. Il y a quelques jours, le site d'information Tahiti Presse annonçait la visite prochaine à Tahiti du pasteur évangélique Philippe Auzenet, pour un séminaire de formation et une série de conférences publiques à la paroisse catholique "Sacré Coeur" d'Arue (côte ouest). Le thème de ces conférences: "sentimentalité, sexualité où mettre Dieu dans tout ça ?", "dysfonctionnements de l'identité et de la sexualité", "dépendances sexuelles: comment s'en libérer". Les articles publiés par Tahiti Presse et par les deux quotidiens locaux - les Nouvelles de Tahiti et la Dépêche de Tahiti - insistent surtout sur les dangers de la pornographie: "un fléau ravageur" (La Dépêche), un "tsunami sexuel" (Tahiti Presse).

     A partir du second paragraphe, les choses se compliquent. Les considérations générales sont justes, mais le cas qui devait les illustrer - la viste du pasteur Auzenet à Tahiti - s'avère en dépit des apparences moins "idéal-typique", moins exemplaire que je ne l'avais cru.

    Un pasteur évangélique chez les Catholiques ? Les articles restent très vagues sur l'identité confessionnelle de ce conférencier, laissant supposer que lui-même n'a pas fourni beaucoup d'indications sur ce point à ses interlocuteurs. Il a néanmoins semé des indices, qui valent la peine d'être relevés car ils mènent sur un terrain religieux particulièrement intéressant, au coeur de "l'offensive évangélique" décrite dans mon dernier livre (L'offensive évangélique, Labor & Fides, 2010): les programmes de "counseling chrétien" (ou "relation d'aide", "psychologie chrétienne").    

    1er indice: Ce n'est pas l'église catholique qui a organisé le déplacement du pasteur Auzenet, mais l'association "Vision de la moisson" dirigée par Edualdo Cicero, en photo dans l'article de la Dépêche. Ancien étudiant des universités évangéliques cln togo.jpgnord-américaines, collaborateur de l'organisation Wycliffe (fondée en 1933, ce réseau évangélique travaille à la traduction de la Bible en langues locales), à l'origine (avec son épouse) de la librairie chrétienne "Au vin nouveau"  à Arue puis à Papeete (elle a fermé en 2007), initiateur de soirées de musique chrétienne, de séminaires de formation, etc..., E. Cicero est depuis les années 1990 un promoteur infatigable des dernières tendances du pentecôtisme "troisième vague", ce credo évangélique charismatique qui met l'accent sur le combat spirituel et l'expérimentation poussée des "manifestations du Saint-Esprit". Il est aujourd'hui missionnaire de l'église "Christ Lumière des Nations" (CLN), une "église de réveil" basée à Cergy-Pontoise. VRAI et FAUX. On bute ici sur le statut d'E. Cicero: est-il ou non missionnaire? Travaille-t-il pour une institution, un réseau, une église? A. Cicero précise que ni son mari ni elle n'ont jamais été missionnaires de l'église CLN.

    Au-delà de leur cas personnel, c'est en fait le mode de fonctionnement des réseaux évangéliques charismatiques qui complique inévitablement la tâche des observateurs. Jusqu'à ce qu'une petite église Christ Lumière des Nations (CLN) n'ouvre récemment à Papeete (sous la direction du pasteur Tua, ancien pasteur de l'Assemblée de Dieu de Faa'a, dans la banlieue de Papeete), le site Internet  de CLN mentionnait en effet E. Cicero, sans préciser s'il s'agissait de son contact, correspondant, représentant ou missionnaire à Tahiti. Peut-on "faciliter l'installation d'une église" à Tahiti, comme l'indique A. Cicero, sans à proprement parler "travailler pour" cette église? On voit bien que les catégories  qui permettent de décrypter le fonctionnement du pentecôtisme classique deviennent facilement trop rigides lorsque l'on se tourne vers les milieux évangéliques charismatiques.

    2ème indice: Le pasteur Auzenet n'est pas à la tête d'une église, mais d'un "ministère itinérant", au travers une association dont il est le président, "Oser en parler", qui dispose d'un Jesus online.jpgsite Internet très détaillé: oserenparler.eu, "le site chrétien qui parle de la sexualité sans tabou" (Ph. Auzenet a par ailleurs un site personnel). Ce type d'entrepreneurs religieux indépendants, fonctionnant en réseaux relayés par Internet, sans affichage confessionnel autre que l'identité générique "chrétienne", s'est particulièrement développé dans les milieux évangéliques charismatiques: le "marché religieux" charismatique, où règnent libre concurrence et multiplication exponentielle de l'offre, se distingue de ce point de vue des formes d'"économie religieuse" plus encadrées, plus institutionalisées, comme celle des Assemblées de Dieu. 

    3 ème indice: Justement, les Assemblées de Dieu, principale église pentecôtiste de Polynésie française, ne sont pas au programme. Ces églises - qui appartiennent au pentecôtisme classique, passion_05_worship_edit.jpghistorique - prônent pourtant la mise en ordre des vies personnelles et une morale rigoureuse, notamment dans le domaine de la sexualité. FAUX. A. Cicero précise que le pasteur Auzenet a non seulement animé un culte des Assemblées, mais aussi participé à leur pastorale, qui réunit les pasteurs de cette église.

    Pourquoi cette idée, qui semblait confirmée par le programme diffusé dans les médias locaux (où les Assemblées n'apparaissent pas) était-elle crédible, vraisemblable? Pour les raisons que j'indiquais plus bas: il existe bien un écart entre pentecôtisme classique et évangéliques charismatiques, à Tahiti comme ailleurs. En dépit des relations amicales qui relient les uns ou autres, cet écart génère inévitablement, de temps à autre, des malentendus et des tensions, comme le montre l'histoire du pentecôtisme en Polynésie française. Ceux-ci s'expliquent par des conceptions différentes du rôle de l'église, de la notion d'appartenance et de l'équilibre souhaitable entre encadrement institutionnel et liberté individuelle des croyants. Ils portent en particulier sur deux points: l'implantation de nouvelles églises, concurrentes des Assemblées de Dieu, et la circulation de prédicateurs indépendants.

    Pour E. Cicero, et dans la conception évangélique charismatique, "Dieu est un Dieu qui aime la diversité et qui ne préconise pas l’unité dans la conformité mais dans la diversité" (entretien de 2002). Autrement dit, la multiplication d'églises pentecôtistes/charismatiques n'est pas source de confusion mais de richesse. Pour la plupart des pasteurs des Assemblées de Dieu, c'est au contraire une source potentielle de confusion, qui complique objectivement l'encadrement des fidèles. C'est pourquoi j'écrivais que ces pasteurs se méfient beaucoup de la "confusion" entretenue, à leurs yeux, par les charismatiques "troisième vague" et leurs expériences tous azimuts: larmes et cris exubérants, nuits de jeûne et prière, danses, transes et évanouissement ou exorcisme... Les membres de ces églises sont souvent moins réticents et circulent en "curieux" d'un lieu à l'autre, à la recherche de la nouveauté.

    Le rattachement officiel du "ministère" de Ph. Auzenet à la Fédération des églises du plein évangile de France (FEPEF) confirme cet écart avec le pentecôtisme classique: un réseau d'églises qui jusqu'en 1990 s'appelait "Fédération des églises libres de Pentecôte". Nous sommes bien en terrain "charismatique indépendant".

    4ème et dernier indice, pour ceux qui auraient encore un doute: La focalisation du militantisme évangélique conservateur, notamment dans sa version charismatique, sur les questions de sexualité - No_Gays(1).jpgconsidérées comme les symboles de la faillite morale des "sociétés sans Dieu". Ce militantisme s'exprime par le biais d'associations de défense des "valeurs familiales" ou "chrétiennes", qui s'opposent en particulier à l'égalité des droits entre homosexuels et hétérosexuels et au droit à l'avortement. Il se traduit également par le développement des programmes évangéliques de "counseling chrétien" ou "relation d'aide", programmes où l'identité homosexuelle  et autres "désordres sexuels" sont retraduits en "mal existentiel" qu'un mélange de psychologie et d'action du Saint-Esprit peut "guérir", en redonnant aux personnes concernées leur "véritable identité"... en Christ. Parmi les programmes les plus connus: ceux de Desert Stream Ministries, fondés par Andrew Comiskey (cité en référence biblio sur le site "Oser en parler") et importés en France sous les noms de Torrents de Vie et Torrents d'Espoir.

    sexualité& Dieu.jpgSur ces questions d'éthique sexuelle, un fossé sépare désormais les pasteurs évangéliques de leurs collègues réformés ou luthériens, comme le montrent les sondages pilotés dernièrement en France par S. Fath et J.-P. Willaime. 41% des pasteurs réformés et 42% des luthériens estiment que "les couples homosexuels devraient pouvoir être bénis dans les églises", ils ne sont que 2% chez les évangéliques. Respectivement 77 et 78% des pasteurs réformés et luthériens sont favorables au droit à l'avortement, contre 12% des pasteurs évangéliques (sondage à télécharger ici). Parmi les fidèles évangéliques, l'écart est moins net sur le droit à l'avortement (40% des évangéliques s'y disent favorables) mais il est sans appel concernant l'homosexualité: 85% des évangéliques sont opposés à la bénédiction des couples homosexuels (voir les résultats complets ici).

    benoit16.jpgC'est au dernier paragraphe et surtout dans la phrase de conclusion que se situe la seconde erreur majeure de ma note: l'idée que le pasteur Auzenet aurait été invité par l'église catholique. S'il intervient bien dans une salle paroissiale, c'est que - indique A. Cicero - c'était une des rares salles disponibles à la location.

    Il faut donc à nouveau se poser la question: pourquoi cette idée paraissait-elle vraisemblable? D'abord, du fait des convergences que je mentionnais et du discours simplement "chrétien" tenu par les militants du protestantisme évangélique charismatique: Il existe en revanche une évidente convergence entre ces positions évangéliques - et a fortiori  celles des militants évangéliques charismatiques - et le discours de l'église catholique. Convergence d'autant plus facile à réaliser que ces militants mettent toujours en avant une identité chrétienne qui est, au premier abord, très inclusive: c'est à la fois une réalité, dans la mesure où les évangéliques charismatiques accordent peu d'importance aux étiquettes et aux appartenances confessionnelles ; et un faux-semblant, parce que leur conception de ce qu'est un "vrai chrétien" implique en fait des éléments - comme la "nouvelle naissance" de la conversion, le "baptême du Saint-Esprit" voire l'engagement militant - qui sont loin d'être partagés par tous les chrétiens.

    Mais aussi parce que le pasteur Auzenet intervient par exemple sur Radio Notre Dame, la radio catholique. L'idée qu'un pasteur charismatique soit invité à disserter sur la sexualité par des responsables de l'église catholique était à ce point crédible... qu'elle a bien failli être exacte ! A. Cicero indique en effet que l'université privée catholique (ISEPP) de Tahiti "n'a pas pu honorer son engagement initial de tenir des conférences du Ps Auzenet du fait des dates d'examens de leurs étudiants mais se sont engagés à en faire la publicité".
    Il s'en sera donc fallu de peu pour que le titre initial de ma note soit finalement conforme à la réalité, et que les étudiants de l'université catholique (si ce n'étaient pas les paroissiens catholiques, comme je l'écrivais) reçoivent bien la visite d'un pasteur évangélique charismatique...
     Ce qui bien sûr n'enlève rien aux erreurs relevées par A. Cicero, que je remercie pour toutes les précisions qu'elle a apportées. Dont acte, comme on dit.

     

    Illustrations: "God-Love-Sex" (Travis Johnson) ; Enseigne de la Mission CLN à Kpalimé - Togo (site de l'église CLN) ; "Jesus online" (couverture de Time Magazine, décembre 1996, sous-titrée "Comment l'Internet façonne notre vision de la foi et de la religion") ; louange charismatique (Kicking the Gourd) ; "No Gays" (examiner.com) ; "Sexualité, qu'en pense Dieu?" (site catholique famillechrétienne.fr).

  • Jeunesse en Mission, 50 ans en images (2): Premiers pas dans le Pacifique

    YWAM-NZ-ship-tour.jpgComme promis, voici le second volet de notre série de l'été, une exploration des archives photographiques du réseau évangélique Jeunesse en Mission (Youth With a Mission, YWAM) depuis sa création en 1960, dans le prolongement de mon dernier livre.

    YWAM n'est pas la première organisation missionnaire évangélique de jeunesse à s'être implantée dans le Pacifique: Youth for Christ était officiellement présente en Nouvelle-Zélande dès 1947. Mais cette région du monde a joué un rôle particulier dans le développement de YWAM, avec le recrutement de nombreux missionnaires en Nouvelle-Zélande, l'ouverture d'un premier campus universitaire  à Kona (Big Island, Hawaii) et par la diffusion du credo de YWAM, évangélique et charismatique, dans l'ensemble des îles polynésiennes.

    Et pour commencer, une surprise: des photos datées de 1965 prises à Samoa, à une époque où YWAM comptait moins de dix équipiers permanents et ne s'était pas encore implantée durablement dans le Pacifique. Peut-être une incursion aux Samoa américaines?

    1965 Samoa.jpg
    Samoa 1965-2.jpg
    porte-à-porte Samoa 1965.jpg

    Deux ans plus tard, une invitation lancée à Loren Cunningham par Neville Winger, un évangéliste néo-zélandais (baptiste charismatique) permet à YWAM - qui n'est encore qu'à un stade embryonnaire, avec seulement dix équipiers permanents, un bureau en Californie et un autre au Canada - de prendre J&J Dawson.jpgpied en Nouvelle-Zélande et de là, dans les îles du Pacifique. L. Cunningham est accueilli à Auckland chez Jim et Joy Dawson (ci-contre, années 1970) - les parents de l'actuel président international de YWAM, John Dawson. La Nouvelle-Zélande, qui connaît dans les années 1960-1970 un fort mouvement de "réveil" charismatique, devient rapidement pour YWAM un des principaux viviers de missionnaires, d'abord dans les milieux protestants pakeha (Néo-zélandais d'origine européenne), puis chez les Pacific Peoples (migrants polynésiens). Trois personnages illustrent ce tournant dans l'histoire de YWAM: Ross Tooley  (photographié ici avec son épouse), Bernie Ogilvy et Kalafi Moala.

    R&M Tooley.jpg

    Issu des milieux évangéliques conservateurs comme la plupart des jeunes leaders néo-zélandais de YWAM, Ross Tooley devient en 1967 le 11ème équipier de YWAM, le 1er en Nouvelle-Zélande. Après trois ans à la tête de YWAM Nouvelle-Zélande, il est nommé en 1970 directeur national aux Philippines.

     

    Ogilvy 1974.jpgBernie Ogilvy, dont j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer le parcours politique (voir la note du 12 novembre 2008 sur le droite chrétienne néo-zélandaise), en 1974. Ancien diacre d'une église baptiste et leader des marches qui en 1972 réclamaient le "retour du pays vers Dieu", il a dirigé YWAM Nouvelle-Zélande de 1974 à 1989 et a formé des centaines de missionnaires, des "troupes de choc" chargées de diffuser un credo évangélique intransigeant dans tous les domaines de la vie sociale, notamment dans le milieu des affaires et les médias.

    Moala 1974.jpgLe Tongien Kalafi Moala (ici en 1974) a été le premier  Océanien à rejoindre YWAM (à partir de 1968) et à y occuper des fonctions de direction. Il a participé aux premières missions en Papouasie Nouvelle-Guinée et a été directeur national au Japon, tout en dirigeant la région Asie-Pacifique jusqu'en 1988.

    Moala 2.jpg

    À la fin des années 1980, Kalafi Moala quitte YWAM pour fonder le premier quotidien pro-démocratie de Tonga, le Times of Tonga. Un engagement qu'il conçoit comme un prolongement de son activité missionnaire, au nom de "la liberté de choisir" accordée par Dieu à tout individu. Une compréhension militante (et progressiste) du credo évangélique, qui lui vaudra d'être emprisonné puis expulsé de Tonga en 1996 et contraste avec les liens étroits que les dirigeants de YWAM ont noués avec le roi tongien Tupou IV, décédé en 2006, que l'on voit ci-dessous en discussion avec Loren Cunningham.

    Cunningham-roiTonga.jpg

    Plus au nord, sur la grande île d'Hawaii, à Kona, YWAM ouvre en 1978 son premier campus universitaire, baptisé Pacific and Asia Christian University. Dans le contexte de la Guerre froide, qui a influencé dès l'origine l'idéologie des organisations missionnaires de jeunesse nées aux Etats-Unis entre 1944 et 1960, l'archipel d'Hawaii est souvent perçu comme un pont entre l'Occident et l'Asie. L'université de YWAM traduit en outre la volonté d'approfondir et diversifier les formations dispensées aux jeunes missionnaires. En 1988, elle prend le nom d'université des nations.

    installation UON.jpg

    Sur les hauteurs du campus, la "place des nations", où flottent les drapeaux des nations représentées parmi les étudiants, symbolise le rayonnement international du campus et le multiculturalisme que YWAM met en scène dans ses programmes d'activités et ses méthodes missionnaires.

    place UoN Kona.jpg

    Ce credo multiculturel et la mise en scène de la diversité culturelle sont devenus au cours des années 1980 un des traits caractéristiques de YWAM, avec l'essor du mouvement Island Breeze lancé en 1980 par le Samoan Sosene Le'au (dont j'ai déjà parlé sur ce blog, notamment dans une note de mai 2009 sur la hula). Président international de YWAM de 2000 à 2003, Frank Naea - d'origine samoane et maori (le peuple autochtone de Nouvelle-Zélande) - fait partie des nombreux jeunes Pacific Peoples ou maori touchés par les tournées d'Island Breeze en Nouvelle-Zélande et la manière dont le mouvement associe réappropriation culturelle et credo évangélique. On le voit ci-dessous lors de la passation de pouvoir avec John Dawson, cérémonie qui reprend des formes protocolaires maori (John Dawson apparaît sur le troisième photo, agenouillé au centre de l'image).

    transition Naea-Dawson 2003.jpg
    transition Naea-Dawson2.jpg
    transition Naea-Dawson3.jpg
    ---
    (Prochain épisode : portraits de militants évangéliques)
  • Pain ou coco ? On tourne à Papetoai

    EPM papetoai.jpgLe temple du village de Papetoai, au  nord-est de l'île de Moorea, est un des lieux emblématiques de l'histoire du protestantisme en Polynésie. D'abord, parce qu'il s'agit du premier bâtiment en pierre construit par les missions chrétiennes en Océanie, en l'occurence les protestants de la London Missionary Society, arrivés à Tahiti en 1797. IMG_3237.JPGSa forme octogonale évoque à la fois la couronne royale (rapellant ainsi l'alliance scellée entre le roi Pomare II et les missionnnaires) et la légende de la pieuvre aux huit tentacules dont on dit qu'elle veille sur Moorea depuis les hauteurs du mont Rotui. Le temple de Papetoai est aussi devenu depuis plus de dix ans  l'un des lieux où la revendication d'un protestantisme autochtone (ma'ohi) émancipé de l'influence missionnaire occidentale s'est exprimée le plus fortement: noix de coco.jpgle dimanche matin à Papetoai, on danse au son des 'ukulele et le pain et le vin ont été remplacés par la chair de coco ou le 'uru (fruit de l'arbre à pain) et l'eau de coco. Ce changement des éléments de la cène a conduit en 1999 à une scission, avec la création d'une église dissidente rassemblant les paroissiens attachés à la "tradition protestante": le pain et le vin, mais aussi les chants a capella, les robes missionnaires et la veste pour les diacres et les pasteurs.

    C'est cette histoire qui sert de fil conducteur au film documentaire dont Gwendoline Malogne-Fer et moi avons tourné les images à Moorea entre mi-février et  début mars, avec une équipe de RFO Polynésie (coproductrice du film avec Wapiti Production).

    IMG_2941.jpg

    IMG_2773.jpg

    IMG_3180.JPG

    IMG_3206.JPG

     

     

    La cène en version coco, pratiquée aujourd'hui par quelques paroisses de Polynésie française, est une déclinaison locale d'un mouvement amorcé dans le Pacifique au cours des années 1960-70 autour du Pacific Theological College de Fidji - une institution fondée en 1966 par la conférence des églises du Pacifique (protestantes historiques et anglicanes). C'est là que des théologiens océaniens, en particulier le méthodiste tongien Sione Amanaki Havea, ont élaboré une nouvelle "tradition" en prônant une sorte de décolonisation théologique au travers d'une réhabilitation des cultures autochtones comme moyen d'expression de la foi chrétienne.

    IMG_3032.JPGLa paroisse de Papetoai n'a pas attendu que ce type de discours se diffuse dans les îles de Polynésie française, au cours  des années 1980, pour défendre la langue et la culture locales. Dès 1977, un pasteur des îles Cook, le pasteur Piho (envoyé à Papetoai dans le cadre d'échanges avec son église d'origine, la Cook Islands Christian Church) avait créé un groupe de danse paroissial, les Swing Boys, rebaptisé depuis Tamarii Papetoai ("les enfants de Papetoai"). Mais pas question de danser dans le temple ! Le pasteur maintenait dans le même temps la discipline héritée des missionnaires occidentaux, soucieux d'endiguer la "nature païenne" polynésienne et de domestiquer les corps.

    En revanche, le groupe se produisait régulièrement dans les hôtels, pour récolter des fonds finançant les projets de construction de la paroisse. Car musiciens club med.jpgà Moorea, l'une des trois grandes destinations touristiques de Polynésie française (avec Tahiti et Bora Bora), il n'est pas rare que culture et tourisme se rencontrent, avec des effets parfois inattendus. Le Club Méditerranée de Moorea, ouvert au début des années 1960 entre les villages de Papetoai et Haapiti, a ainsi été jusqu'à sa fermeture en 2001 le principal employeur local. Et les joueurs de 'ukulele de la paroisse protestante sont tous des anciens du Club. Les "GO" polynésiens - animateurs, musiciens, danseurs -  qui ont fait de la représentation de leur culture un métier à part entière ont aussi soutenu le retour de la culture dans le temple.

    IMG_2802.JPGLa culture est-elle plus authentique si on la maintient à l'écart du temple et l'héritage missionnaire doit-il demeurer le socle immuable de la  tradition - protestante et polynésienne ? Ou faut-il passer par une réappropriation militante de la culture dans le temple pour sauvegarder l'identité culturelle autochtone, quitte à prendre quelques libertés avec les formes traditionnelles de la culture ?  Ces questions que se posent les protestants de Papetoai IMG_3175.JPGseront évoquées dans le documentaire au fil de la quinzaine d'entretiens que nous avons filmés. Des responsables d'église et le sénateur Richard Ariihau Tuheiava (qui a grandi à Papetoai où son père était directeur de l'école primaire) nous ont également donné leur point de vue et nous avons rendu visite aux paroissiens du village voisin de Haapiti, qui n'ont pas adopté les changements expérimentés à Papetoai. Au-delà des églises, ces relations compliquées entre christianisme, culture et tradition sont l'occasion d'évoquer la vie quotidienne des habitants d'un village polynésien d'aujourd'hui, en les suivant par exemple à la pêche ou dans les plantations.

    Le montage est prévu dans quelques mois, pour une première diffusion probablement vers la fin 2010.

     

    Photos G. Malogne-Fer, sauf musiciens du Club Med: FortOgden Image Library.