Le numéro 157 des Archives de sciences sociales des religions, que j'ai coordonné, vient de paraître. Intitulé "Christianismes en Océanie - Changing Christianity in Oceania", il rassemble 8 contributions et marque l'aboutissement d'un travail collectif entamé en 2008 à l'occasion de journées d'études dont j'avais alors parlé ici.
The issue #157 of the Archives de sciences sociales des religions has just been released. This publication that I've coordinated includes 8 contributions and is the main outcome of a collective work which began in 2008 with a two-day workshop held in Paris (see here).
Vous trouverez ci-dessous le texte de présentation de ce numéro, ainsi que le sommaire. Pour lire le résumé de chaque article, il suffit de cliquer après les titres.
You will find below a short presentation of this issue and the table of contents. To read the abstract of each article, just click after the title.
Bonne lecture.
Présentation. Au cours des trente dernières années, le christianisme a changé en Océanie, dans un contexte de profond changement social marqué notamment par l’urbanisation et l’intensification des migrations et sous l’effet d’une confrontation croissante entre des églises héritières des missions du 19ème siècle et les formes concurrentes du christianisme mondial – en particulier les plus récentes,
évangéliques et charismatiques.
L’anthropologie du christianisme a changé, elle aussi. Les auteurs de ce numéro cherchent à prendre la mesure de cette double évolution, en associant l’exploration des christianismes d’Océanie et une réflexion collective sur les méthodes et les approches théoriques par lesquels nous en rendons compte. Ils mettent ainsi en lumière l’intérêt que représentent ces terrains océaniens dans la perspective d’une anthropologie du christianisme et pour une compréhension approfondie des rapports entre christianisme et cultures.
Des montagnes de Papouasie Nouvelle-Guinée jusqu’aux communautés polynésiennes des banlieues urbaines de Nouvelle-Zélande, en passant par la Polynésie française ou Fidji, l’analyse des transformations contemporaines du christianisme océanien invite à dépasser une compréhension trop univoque en termes d’acculturation ou de domination culturelle occidentale, pour prêter davantage attention aux conditions de la rencontre entre une histoire chrétienne locale et les dynamiques actuelles de la globalisation religieuse.
Presentation. Christianity has changed in Oceania in the last 30 years, in a context of deep social change marked by the impact of migrations and urbanisation, and under the influence of a growing competition between the churches stemming from the 19th Century missions and the new forms of
global Christianity - especially Evangelicals and Charismatics.
Anthropology of Christianity has changed too. The authors of this issue aim to measure the effects of this double evolution, by articulating an exploration of Pacific Christianities with a collective reflection on the methods and theoretical tools we use to analyse them. Thus they point out the interest of Pacific fields of research in the perspective of an anthropology of Christianity and for a deeper understanding of the relationships between Christianity and local cultures.
From the mountains of Papua New Guinea to the Pacific Peoples communities of New Zealand suburbs, in French Polynesia or in Fiji, the observation of Pacific Christianities invites us to move beyond a too simplistic description in terms of acculturation or Western cultural domination, and to give more attention to the circumstances of the encounter between Pacific Christian local histories and the contemporary dynamics of religious globalisation.
Sommaire / Table of Contents
Yannick Fer — Introduction
Simon Coleman — Christianities in Oceania: “Historical Genealogies and Anthropological Insularities” (résumé - abstract)
Manfred Ernst — Changing Christianity in Oceania: a Regional Overview (résumé - abstract)
Yannick Fer — Le protestantisme polynésien, de l’Église locale aux réseaux évangéliques (résumé - abstract)
John Barker — Secondary Conversion and the Anthropology of Christianity in Melanesia (résumé - abstract)
Jacqueline Ryle — Burying the Past-Healing the Land: Ritualising Reconciliation in Fiji (résumé - abstract)
Joel Robbins — Spirit Women, Church Women, and Passenger Women: Christianity, Gender, and Cultural Change in Melanesia (résumé - abstract)
Gwendoline Malogne-Fer — Les protestantismes polynésiens à l’épreuve du genre. L’exemple de l’Église presbytérienne de Nouvelle-Zélande (résumé - abstract)
Gilles Vidal — La contextualisation de la théologie protestante comme lieu de changement du christianisme en Océanie (résumé - abstract)
Illustrations: église de la roche à Maré (P-J. Noël) ; culte samoan à la Wellington Methodist Parish (G. Malogne-Fer)
Je viens de publier avec Gwendoline Malogne-Fer un livre intitulé
l'expansion occidentale et l'avancée du christianisme. Mais ils abordaient la religion essentiellement sous l'angle d'une confrontation entre cultures océaniennes et occidentale : comment les populations locales résistent-elles au christianisme, quelles formes de subversion de cette religion importée inventent-elles pour conserver leur identité culturelle? Les anthropologues se concentraient alors sur des formes religieuses spécifiquement océaniennes, en particulier les mouvements millénaristes désignés sous le terme générique de
L'article de John Barker est publié dans cette seconde partie. Il montre comment l'essor d'un mouvement de "réveil" charismatique chez les
L'article de Gwendoline Malogne-Fer conclut cette première partie en abordant deux éléments majeurs de l'évolution récente du christianisme océanien : les rapports de genre et - pour les églises protestantes - les enjeux de l'accession des femmes au pastorat (voir ma
Je vous avais parlé dans
dominées par la figure du Big Man, qui s'impose parmi les siens en tissant des réseaux de parenté et de solidarité. Il souligne ainsi la nécessité de replacer le concept d'autochtonie dans les différents contextes politiques où il est utilisé. J. Friedman examine lui aussi les variations contemporaines de "l'indigénéité" (terme équivalent à autochtonie, proche du terme anglophone Indigenous) en lien avec les Etats nationaux et insiste sur l'idée que "l'indigénéité ne fait pas référence à un type particulier de société ni même de mode de vie, mais à une identité politique", qui se construit dans un rapport avec l'Etat.
C'est justement le thème de la seconde section du livre ("Les autochtones et l'Etat"), où trois textes concernent plus ou moins directement l'Océanie, en particulier la Nouvelle-Calédonie. L'historienne Isabelle Merle, spécialiste de la colonisation, montre les ambiguïtés du "statut personnel" mis en place par l'Etat français dans ses colonies, avec la création d'une catégorie juridique, les "sujets d'Empire", fondée sur une distinction entre nationalité et citoyenneté: ils étaient Français non citoyens, un entre-deux qui - écrit-elle - permettait "à la fois de tolérer des pratiques indigènes non conformes aux normes du Code civil et d'ouvrir des possibilités légales de répression impossibles en France métropolitaine". Un second article, de Régis Laffargue, revient sur les relations entre république, coutume et droit dans l'outre-mer français, qui ne sont pas sans rappeler la manière dont la laïcité a été "aménagée" outre-mer pour
tenir compte de traditions locales englobant parfois le christianisme. La loi statutaire faisant de Wallis et Futuna un territoire d'outre-mer, en 1961, reconnaissait par exemple implicitement le catholicisme comme un élément de "tradition locale" à préserver, quand elle prévoyait que "la République garantit aux populations du Territoire des îles Wallis et Futuna le libre exercice de leur religion, ainsi que le respect de leurs croyances et de leurs coutumes en tant qu’elles ne sont pas contraires aux principes généraux du droit et aux dispositions de la présente loi". C'est un sujet dont j'avais parlé ici à propos d'un autre livre, coordonné par Jean Baubérot et Jean-Marc Regnault, sur
Une quatrième section du livre est plus spécifiquement consacrée aux "revendications de soi comme autochtones dans le Pacifique". C'est dans cette section qu'est publié mon article sur Youth With a Mission. Associer évangéliques et autochtonie peut paraître hors sujet, les missionnaires évangéliques étant généralement considérés - non sans raison - comme des agents d'acculturation et de déstabilisation des sociétés traditionnelles. Mais un ensemble d'évolutions repérables depuis les années 1980 au sein du protestantisme charismatique a contribué à l'essor de mouvements qui se revendiquent désormais "autochtones chrétiens" et mettent en avant des expressions culturelles comme les danses, exclues des cérémonies religieuses dans la plupart des églises protestantes historiques d'Océanie. Youth With a Mission, une organisation évangélique charismatique fondée en 1960 en Californie, aujourd'hui présente dans près de 170 pays, a joué un rôle central dans cette évolution, en particulier au travers du programme
à l'université de la Polynésie française, spécialiste du reo ma'ohi (les langues polynésiennes) reprend ensuite la généalogie des termes tahitiens définissant une identité culturelle autochtone - ma'ohi, nuna'a (le peuple en tant que nation), ta'ata tahiti (personne tahitienne) - qu'elle replace dans le contexte historique où ils se sont progressivement imposés. Pierre-Yves Le Meur propose une comparaison concernant l'intégration et la production sociale des étrangers en Afrique de l'Ouest et en Océanie. Viviane Cretton souligne l'ambivalence de la référence à
l'autochtonie dans les discours sur la
Bref, il s'agit d'une somme considérable d'analyses et de connaissances (530 pages) qui constitue une étape importante dans le développement des études francophones sur le concept d'autochtonie et les revendications en faveur des peuples autochtones, qui ont été notamment reconnues dans le cadre de l'ONU. L'assemblée générale des nations unies a ainsi adopté en septembre 2007, à une large majorité, une