En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.
Un nouvel article, publié en 2007 dans la revue canadienne Anthropologie et Sociétés, est désormais accessible en ligne. Son titre - "salut personnel et socialisation religieuse dans les assemblées de Dieu de Polynésie française" - n'est pas très explicite, mais le résumé ci-dessous est plus clair: en deux mots, il s'agit d'expliquer comment l'appartenance à une église qui est à la fois une communauté relativement exigeante (les membres d'église ayant le devoir de veiller les uns sur les autres) et une institution encadrant assez étroitement les existences individuelles, peut pourtant être vécue par les convertis comme une expérience strictement personnelle, une relation directe avec Dieu. Ce qui revient à préciser les ressorts de ce que j'ai appelé un "travail institutionnel invisible", un thème également abordé dans ma communication "individus et institution en pentecôtisme" (dans la rubrique "à écouter").
Vous trouverez cet article dans la colonne de gauche, dans la rubrique "à lire (en ligne)" et en version PDF. Vous pouvez aussi le lire en cliquant ici. Bonne lecture !
Résumé
Un des paradoxes du pentecôtisme semble reposer sur sa capacité à promouvoir à la fois individualisme et communautarisation. Cet article, fondé sur une étude extensive de la socialisation opérée par les Assemblées de Dieu polynésiennes, s’efforce de dénouer cette contradiction. Il montre comment un travail institutionnel « invisible » permet aux croyants d’établir une continuité symbolique entre l’autonomisation vis-à-vis des structures traditionnelles d’encadrement qui a précédé leur conversion et leur intégration à une communauté religieuse exigeante au sein de laquelle les contrôles communautaires et institutionnels sont subjectivement vécus comme des relations personnelles « enchantées » avec Dieu.
Abstract
Personal Salvation and Religious Socialization within the Assemblies of God of French Polynesia
An apparent paradox of Pentecostalism lies in its ability to promote both individualism and community. This article, based on an extended study of socialization within the Polynesian Assemblies of God, attempts to unravel this contradiction. It shows how an « unseen » institutional work enables believers to establish a symbolic continuity between the distanciation from traditional structures of control that preceded their conversion, and their integration into a religious constraining community where institutional and community controls are subjectively experienced as personal « enchanted » relations with God. In this religious paradigm, « brothers and sisters in Christ » do not replace the traditional family, but rather form a new space of possible « familial » ties based upon personal affinities.
Je vous avais parlé dans une note de juin 2006 d'un colloque franco-québecois organisé à l'école des hautes études en sciences sociales sur le thème de l'autochtonie, colloque au cours duquel j'avais présenté une communication intitulée "Youth With a Mission et les cultures polynésiennes: définition et mise en scène des identités autochtones en protestantisme évangélique". Les actes de ce colloque viennent de paraître aux Presses universitaires de Laval (Québec) et seront prochainement disponibles en France. Plusieurs spécialistes des îles du Pacifique y ont participé.
Alban Bensa, anthropologue de la Nouvelle-Calédonie, et Jonathan Friedman, qui s'intéresse à l'anthropologie des systèmes mondiaux et a notamment étudié les mobilisations autochtones à Hawaii, ont contribué à la première section du livre, qui porte sur les généalogies du concept d'autochtonie. A. Bensa revient sur la complexité des relations entre territoire, "gens d'ici" et "gens d'ailleurs", en comparant le modèle de l'étranger-roi (où la légitimité et l'exercice du pouvoir supposent que l'on soit, au moins symboliquement, étranger à la société concernée) à d'autres modèles inverses, comme les sociétés mélanésiennes dominées par la figure du Big Man, qui s'impose parmi les siens en tissant des réseaux de parenté et de solidarité. Il souligne ainsi la nécessité de replacer le concept d'autochtonie dans les différents contextes politiques où il est utilisé. J. Friedman examine lui aussi les variations contemporaines de "l'indigénéité" (terme équivalent à autochtonie, proche du terme anglophone Indigenous) en lien avec les Etats nationaux et insiste sur l'idée que "l'indigénéité ne fait pas référence à un type particulier de société ni même de mode de vie, mais à une identité politique", qui se construit dans un rapport avec l'Etat.
C'est justement le thème de la seconde section du livre ("Les autochtones et l'Etat"), où trois textes concernent plus ou moins directement l'Océanie, en particulier la Nouvelle-Calédonie. L'historienne Isabelle Merle, spécialiste de la colonisation, montre les ambiguïtés du "statut personnel" mis en place par l'Etat français dans ses colonies, avec la création d'une catégorie juridique, les "sujets d'Empire", fondée sur une distinction entre nationalité et citoyenneté: ils étaient Français non citoyens, un entre-deux qui - écrit-elle - permettait "à la fois de tolérer des pratiques indigènes non conformes aux normes du Code civil et d'ouvrir des possibilités légales de répression impossibles en France métropolitaine". Un second article, de Régis Laffargue, revient sur les relations entre république, coutume et droit dans l'outre-mer français, qui ne sont pas sans rappeler la manière dont la laïcité a été "aménagée" outre-mer pour tenir compte de traditions locales englobant parfois le christianisme. La loi statutaire faisant de Wallis et Futuna un territoire d'outre-mer, en 1961, reconnaissait par exemple implicitement le catholicisme comme un élément de "tradition locale" à préserver, quand elle prévoyait que "la République garantit aux populations du Territoire des îles Wallis et Futuna le libre exercice de leur religion, ainsi que le respect de leurs croyances et de leurs coutumes en tant qu’elles ne sont pas contraires aux principes généraux du droit et aux dispositions de la présente loi". C'est un sujet dont j'avais parlé ici à propos d'un autre livre, coordonné par Jean Baubérot et Jean-Marc Regnault, sur les relations autorités-églises outre-mer. Enfin, Marcel Djama analyse en détails les politiques de l'autochtonie en Nouvelle-Calédonie, depuis l'établissement de frontières sociales et raciales par l'Etat français (entre les différentes catégories d'indigènes et d'immigrants, dont certains étaient eux-mêmes colonisés, comme les travailleurs indochinois) jusqu'à ce qu'il appelle une "ethnicisation du champ politique", avec l'émergence de la revendication indépendantiste kanak au cours des années 1970.
Une quatrième section du livre est plus spécifiquement consacrée aux "revendications de soi comme autochtones dans le Pacifique". C'est dans cette section qu'est publié mon article sur Youth With a Mission. Associer évangéliques et autochtonie peut paraître hors sujet, les missionnaires évangéliques étant généralement considérés - non sans raison - comme des agents d'acculturation et de déstabilisation des sociétés traditionnelles. Mais un ensemble d'évolutions repérables depuis les années 1980 au sein du protestantisme charismatique a contribué à l'essor de mouvements qui se revendiquent désormais "autochtones chrétiens" et mettent en avant des expressions culturelles comme les danses, exclues des cérémonies religieuses dans la plupart des églises protestantes historiques d'Océanie. Youth With a Mission, une organisation évangélique charismatique fondée en 1960 en Californie, aujourd'hui présente dans près de 170 pays, a joué un rôle central dans cette évolution, en particulier au travers du programme Island Breeze lancé en 1979 par le Samoan Sosene Le'au, qui prône l'utilisation des danses autochtones comme expression de la foi chrétienne et instrument d'évangélisation.
L'anthropologue canadienne Sylvie Poirier présente dans la même section une analyse comparée des stratégies de résistance et de revendications identitaires de deux groupes autochtones, l'un au Canada (la nation amérindienne Atikamekws, dans le centre-nord du Québec) et l'autre en Australie (les Kukatjas du désert occidental). Vahi Sylvia Tuheiava-Richaud (ci-contre), maîtresse de conférences à l'université de la Polynésie française, spécialiste du reo ma'ohi (les langues polynésiennes) reprend ensuite la généalogie des termes tahitiens définissant une identité culturelle autochtone - ma'ohi, nuna'a (le peuple en tant que nation), ta'ata tahiti (personne tahitienne) - qu'elle replace dans le contexte historique où ils se sont progressivement imposés. Pierre-Yves Le Meur propose une comparaison concernant l'intégration et la production sociale des étrangers en Afrique de l'Ouest et en Océanie. Viviane Cretton souligne l'ambivalence de la référence à l'autochtonie dans les discours sur la nation fidjienne(un thème évoqué ici dans une note de décembre 2006), dans un article qui, de façon un peu surprenante, laisse de côté la dimension religieuse de la notion de "réconciliation" à Fidji et le rôle des églises dans les tensions entre autochtones et Indo-Fidjiens. Les églises chrétiennes y jouent en effet un rôle décisif, comme l'a montré l'anthropologue danoise Jacqueline Ryle: l'église méthodiste fidjienne est devenue un des fers de lance des revendications en faveur d'un pouvoir autochtone chrétien (qui excluerait de facto les Indo-Fidjiens, majoritairement hindous et musulmans), tandis que la plupart des églises pentecôtistes n'envisagent une réconciliation nationale qu'au prix de la conversion des Indo-Fidjiens et que l'église catholique prône quant à elle le dialogue et la tolérance entre communautés.
Bref, il s'agit d'une somme considérable d'analyses et de connaissances (530 pages) qui constitue une étape importante dans le développement des études francophones sur le concept d'autochtonie et les revendications en faveur des peuples autochtones, qui ont été notamment reconnues dans le cadre de l'ONU. L'assemblée générale des nations unies a ainsi adopté en septembre 2007, à une large majorité, une déclaration des nations unies sur les droits des peuples autochtones. Quatre pays ont voté contre, dont deux sont en Océanie: l'Australie et la Nouvelle-Zélande (les deux autres étant le Canada et les Etats-Unis). Ils entendaient ainsi contester tout droit à l'autodétermination politique des peuples autochtones, maori en Nouvelle-Zélande et aborigènes en Australie.
Illustrations: Big man en Papouasie Nouvelle-Guinée sur daylife.com ; case d'un chef kanak sur le site d'A. Videt ; danseurs d'Island Breeze ; Vahi Sylvia Tuheiava Richaud ; église méthodiste à Fidji sur le site du COE ; logo du forum permanent sur les questions autochtones (UNPFII).
Pitcairn, une île de 5 km2 et d'environ 50 habitants, à mi-chemin entre l'Amérique du Sud et la Nouvelle-Zélande, pourrait presque passer inaperçue. Pourtant, l'histoire de ses fondateurs a inspiré l'un des plus célèbres romans du 20ème siècle (signé Charles Nordhoff et James Norman Hall) et quatre films hollywoodiens, dont celui de Lewis Milestone, tourné au début des années 1960 à Tahiti et dans lequel le personnage de Fletcher Christian est incarné par Marlon Brando.
L'histoire est donc connue: en 1789, une mutinerie éclate à bord du navire britannique The Bounty, commandé par le capitaine Bligh, alors qu'il vient de quitter l'île de Tahiti. Les mutins - onze hommes menés par Fletcher Christian - s'emparent du navire, tandis que le capitaine et le reste de l'équipage dérivent jusqu'à Timor à bord d'un canot de sauvetage. Ils mettent le cap sur l'île de Tubuai, dans l'archipel des îles Australes, tentent de s'y installer avant de renoncer et de retourner à Tahiti, où plusieurs d'entre eux préfèrent débarquer. Le Bounty repart finalement, avec à son bord Fletcher Christian, huit hommes d'équipage, six Tahitiens et onze Tahitiennes. Ils jettent l'ancre en janvier 1790 sur une petite île isolée et inhabitée: Pitcairn.
Mais que sont-ils devenus après cette installation, rendue définitive par l'incendie du navire? La suite de cette aventure aurait pû ressembler à l'histoire édifiante d'une petite société idéale, multiculturelle et égalitaire, fondée peu après la Révolution française par l'alliance entre des hommes épris de liberté et leurs épouses tahitiennes: "la première société métisse du Pacifique Sud", écrit Sébastien Laurier, dans la pièce de théâtre intitulée Mais que sont les révoltés du Bounty devenus? qu'il met en scène du 7 au 13 mars 2009 au théâtre Jean Vilar de Suresnes. Sauf que les premières années de la vie à Pitcairn sont plus proches du drame shakespearien que de l'île d'Utopia imaginée au 16ème siècle par Thomas More.
Appuyée sur une exploration bibliographique d'une rigueur et d'une étendue impressionnantes, la pièce de Sébastien Laurier évoque donc la vie des marins britanniques et des Polynésiens pris dans un huis clos insulaire auquel la plupart n'ont pas survécu. À travers les réflexions et l'imagination d'un narrateur contemporain, par le jeu de projections d'images et d'extraits de livres, le spectateur fait la connaissance de ces personnages terribles. La plupart des marins ont entre 20 et 30 ans : le plus jeune, Aleck Smith, n'a que 20 ans, le plus âgé John Mills 38 ans, Fletcher Christian (ci-contre) en a 26. Parmi les femmes polynésiennes, deux sont les épouses des officiers mutins, Fletcher Christian et Edward Young, des filles de nobles tahitiens embarquées de leur plein gré. On ne sait pas grand chose des neuf autres femmes, si ce n'est leurs prénoms. Et puis il y a les six hommes polynésiens, dont deux venus de Tubuai et Tararo, un chef de rang élevé originaire de l'île de Raiatea, une île devenue un des principaux centres religieux dans la Polynésie du 18ème siècle.
À Pitcairn, une micro-société se construit dans la violence, au point de passer tout près de l'auto-destruction. On discute, on s'empoigne à propos de la répartition des terres, des femmes et des relations à établir entre Britanniques et Polynésiens. Sébastien Laurier a écrit un texte passionnant, très vivant, qui fait appel à plusieurs voix et navigue entre références scientifiques, littéraires, cinématographiques, entre l'existence du narrateur (arrivé à une étape de la vie où on hésite entre nouveau départ et constat d'échec) et la Polynésie du 18ème siècle. C'est une pièce où le rôle le plus marquant revient finalement non au héros britannique Fletcher Christian, mais à une des femmes polynésiennes, Mareva. Et une pièce qui, au-delà du cas de Pitcairn, s'interroge sur la condition humaine et sur tous ces rêves ou illusions associés à ce refuge imaginaire: l'île comme terre utopique où tout pourrait être recommencé, réinventé.
Si vous avez envie d'aller la voir - ce que je vous recommande - au théâtre Jean Vilar de Suresnes, cliquez ici pour télécharger la fiche de présentation et tous les renseignements utiles. En prime, voici un micro-trottoir réalisé par Sébastien Laurier en guise de bande annonce :
* * *
Que sont finalement devenus les descendants des révoltés du Bounty? Il y a eu jusqu'à 250 habitants à Pitcairn, il en reste aujourd'hui moins d'un cinquième mais la petite communauté - officiellement colonie britannique, sous l'autorité d'un gouverneur également représentant de la Couronne en Nouvelle-Zélande - a survécu.
En 1886, les habitants de Pitcairn ont été les premiers en Océanie à adhérer à l'adventisme, un mouvement d'origine protestante apparu au milieu du 19ème siècle aux États-Unis. Ils ont donné leur nom aux Adventistes de Polynésie française, appelés petania (Pitcairn en tahitien), en référence au voilier affrêté par l'église adventiste et baptisé Pitcairn, dont l’escale en décembre 1890 à Tahiti marqua le début de la mission adventiste dans les îles de la Société. Cette conversion à l'adventisme, qui prône une stricte hygiène de vie, n'a pourtant pas suffi à faire de Pitcairn une communauté exemplaire : en 2004, l'île a occupé pendant plusieurs mois la une des journaux néo-zélandais, après la condamnation de six hommes de l'île, dont le maire, Steve Christian, pour viols et abus sexuels. Ils ont retrouvé la liberté en 2008 et la petite prison qui avait été construite à Pitcairn pour l'occasion deviendra bientôt un hôtel pour touristes.
Illustrations: Bounty Bay à Pitcairn sur etriptips.com et la population de Pitcairn dans les années 1920 surjanesterure.com.