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Yannick Fer - Page 29

  • Le pentecôtisme en Polynésie française: quels enjeux pour l'église protestante ma'ohi ? (entretien)

    En avril 2006, Daniel Margueron, directeur du lycée protestant de Tahiti et par ailleurs spécialiste de littérature polynésienne, m'avait soumis quelques questions, pour un entretien à paraître dans le Ve'a Porotetani, le journal de l'église protestante historique de Polynésie française, l'église protestante maohi. Les numéros du Ve'a, qui sortaient à l'origine tous les mois, ont adopté depuis quelques années un rythme de publication épisodique et irrégulier, selon la formule consacrée. Et cet entretien n'a pour l'instant pas été publié. Il le sera peut-être un jour, en attendant en voici le texte.
    (Un problème technique a rendu certains passages de la précédente version de ce texte incompréhensibles. L'erreur a été corrigée, désolé pour ceux qui sont passés avant la correction...)
     
    Daniel Margueron. Qu’est-ce que le pentecôtisme, comment définir le pentecôtisme par rapport au protestantisme?
    Yannick Fer. Le pentecôtisme, ou «mouvement de Pentecôte», est apparu au tout début du XXe siècle dans les États du Sud des 8f04f51d11385da9223cedf46402e2a4.jpgEtats-Unis et la première grande église a ouvert en 1906 rue Azusa à Los Angeles, sous l’impulsion du pasteur noir William J. Seymour. Son histoire est liée à celle du méthodisme, un Réveil protestant qui a eu lieu en Angleterre au cours des années 1730 et a nourri une grande partie de l’enthousiasme missionnaire du XVIIIe siècle – notamment dans le Pacifique : l’église wesleyenne de Tonga, par exemple, porte le nom du fondateur du méthodisme, John Wesley.
    Après la guerre de Sécession qui a déchiré les Etats-Unis de 1861 à 1865, de nombreux méthodistes et quelques baptistes cherchaient une force spirituelle nouvelle et pensaient qu’un retour aux sources du protestantisme leur donnerait les moyens de surmonter lese0917fa1fe5691cfd97a6c2107d7c0f7.jpg bouleversements de l’époque. Certains d’entre eux ont alors fait une expérience qu’ils ont interprétée comme une Pentecôte moderne : au cours de jeûnes et prières intenses, ils se sont mis à «parler en langues», dans un langage incompréhensible. C’est ce que les pentecôtistes appellent le «baptême du Saint-Esprit», parce qu’ils considèrent que c’est le Saint-Esprit qui, en descendant sur le croyant, lui inspire ces paroles et lui accorde un «revêtement de puissance», qui lui permettra de renouveler sa vie personnelle et de participer à la «grande mission» d’évangélisation.
    Le pentecôtisme est donc, historiquement, un mouvement de Réveil protestant, qui se distingue par l’accent qu’il met sur l’action du Saint-Esprit ici et maintenant (parlers en langues, mais aussi guérisons, prophéties). C’est un mouvement protestant évangélique, dans le sens où on utilise aujourd’hui le terme «évangélique» pour parler des protestants qui insistent particulièrement sur la nécessité d’une conversion personnelle (la «nouvelle naissance»), une interprétation étroite de la Bible, le devoir d’évangélisation (y compris vis-à-vis des protestants qui ne sont pas «nés de nouveau») et le salut offert par Jésus-Christ à la croix.
    Depuis maintenant un siècle, le pentecôtisme s’est beaucoup diversifié en même temps qu’il se développait sur tous les continents. Il y a aujourd’hui des centaines de dénominations pentecôtistes différentes, la plus importante étant les Assemblées de Dieu, qui comptent un peu plus de 32 millions de membres dans le monde (environ 200000 en Océanie).

    DM. Comment s’est implanté le pentecôtisme en Polynésie, quelles sont les principales étapes de cette implantation?
    Yannick Fer. En Polynésie française, le pentecôtisme a d’abord été chinois, ou plus précisément hakka. C’est un missionnaire chinois-américain, le pasteur Hong Sit, qui a organisé à Tahiti en juillet 1962 les premières réunions d’évangélisation d’inspiration pentecôtiste, fréquentées par la petite communauté hakka de Béthel (essentiellement des élèves de l’école Viénot et leurs familles), puis par de nombreux Hakkas restés jusque-là à l’écart du christianisme, souvent attirés par l’espoir d’une guérison miraculeuse. Dès la première semaine, 72 personnes se sont fait baptiser par Hong Sit dans une rivière de ba68fd7e034399517bce1ea4888c19f8.jpgPapara, 288 entre juillet 1962 et décembre 1963. Ce groupe est à l’origine de la paroisse de Jourdain (dont le nom a été choisi en référence aux baptêmes par immersion de 1962 et 1963), puis de l’église Alléluia, première église pentecôtiste polynésienne, née en 1967 d’une scission avec l’EEPF.
    La seconde période débute en 1975 avec le recrutement par les dirigeants d’Alléluia d’un pasteur des assemblées de Dieu françaises, Roger Albert, secondé à partir de 1979 par un pasteur de Nouvelle-Calédonie d’origine vietnamienne, Louis Levant. En organisant des réunions d’évangélisation à Papeete et à Taravao, ils ont amené à l’église Alléluia des Polynésiens de toutes origines, jusqu’à provoquer en 1982 une rupture avec les dirigeants de l’église, qui n’étaient pas prêts à renoncer à l’identité hakka d’Alléluia. Les assemblées de Dieu, église pentecôtiste pluriculturelle, sont issues de cette scission. Elles se sont rapidement développées au cours des années 1980, ont ouvert des églises dans les îles Sous-le-Vent, formé des pasteurs locaux et créé en 1997 radio te vevo o te tiaturira’a (RTV), première radio chrétienne de Polynésie française, dont l’audience dépasse largement le seul cercle des membres des assemblées. Les assemblées de Dieu américaines ont elles aussi ouvert une église à Faa’a, le centre chrétien de la Bonne Nouvelle inauguré en 1984. Elle a finalement été intégrée aux assemblées de Dieu de Polynésie française en 2000.
    Enfin, au cours de la troisième période, depuis 2000, on observe l’arrivée (ou le passage) de nombreux missionnaires venus du Pacifique ou des Etats-Unis et l’éclosion de nouvelles églises pentecôtistes : église du Plein Évangile, liée à la First Assembly of God de Maui (Hawaii) ou Calvary Chapel. Les îles françaises du Pacifique sont restées longtemps hors d’atteinte des nombreuses églises pentecôtistes nord-américaines présentes dans les îles anglophones, mais il y aura sans doute à l’avenir, en Polynésie française comme ailleurs, plusieurs pentecôtismes.

    DM. La présence et le développement du pentecôtisme en Polynésie interpellent-ils l’Eglise protestante maohi?
    YF. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles l’église protestante maohi peut légitimement se sentir interpellée par le développement du pentecôtisme. La plus évidente, c’est que la grande majorité des convertis au pentecôtisme viennent de ses rangs : depuis maintenant 25 ans, plusieurs centaines de familles pour qui, jusque-là, l’appartenance à l’EEPF ou l’EPM allait de soi l’ont quittée pour rejoindre les assemblées de Dieu. Un choix qui implique des conflits familiaux, des ruptures douloureuses, surtout dans les petites îles où une bonne part de la vie sociale tourne encore autour des paroisses protestantes, un choix qu’on ne peut pas expliquer seulement par des circonstances particulières, comme la maladie, la dépression, des désaccords ponctuels entre paroissiens et diacres, etc... Ces départs témoignent aussi des évolutions durables de la société polynésienne, de ce que chacun attend aujourd’hui d’une église et de convictions théologiques divergentes.
    La question de l’efficacité, en particulier, a tendance à devenir essentielle et elle se mesure de plus en plus au niveau individuel : que fait l’église pour moi, en quoi peut-elle m’aider à m’en sortir dans cette société du chacun pour soi ? De nombreux domaines qui sont considérés par beaucoup de pasteurs de l’EPM comme «intimes» ou «psychologiques» – donc hors de leur champ de compétences –, comme les problèmes de couple, les relations avec les enfants, la dépression et le mal-être, la timidité, les difficultés professionnelles, etc. sont au contraire revendiquées par les églises pentecôtistes comme des problèmes pour lesquels Dieu, la Bible sont la solution: pas seulement des conseils d’ordre général, mais une réponse personnalisée, un «message de la part de Dieu pour toi, ici et maintenant». Beaucoup de convertis au pentecôtisme ont ainsi l’impression que l’EPM parle beaucoup de la société polynésienne en général, mais n’agit pas assez, concrètement, pour améliorer la situation de chacun.
      Ensuite, quelle vie communautaire offre l’église: un lieu au cœur de la société (au risque d’y retrouver toutes les tensions liées aux relations sociales ordinaires) ou une contre-société (qui en déliant l’individu de ses obligations envers la famille, les ancêtres, le village, remet en cause des solidarités anciennes) ? Il y a, chez les convertis au pentecôtisme, mais aussi de plus en plus chez les croyants de toutes églises, la recherche d’une église dans laquelle on puisse se sentir «libre», afin d’accéder à une expérience qui soit moins «religieuse» et plus «spirituelle». Que ce soit lié à la progression pentecôtiste ou non, l’EPM pourra difficilement faire l’économie d’une réflexion sur les formes d’autorité qui sont aujourd’hui acceptables, car comme l’a souligné le sociologue Max Weber, il n’y a pas d’autorité durable si elle n’est pas, d’une façon ou d’une autre, acceptée par ceux qui la subissent. Or, ce que montre le pentecôtisme, c’est que l’autorité qui est désormais la mieux acceptée, dans la société polynésienne comme dans beaucoup d’autres, est celle qui paraît fondée non sur un statut institutionnel («je suis le chef, donc j’ai raison») mais sur une exemplarité, ce que les pentecôtistes appellent le témoignage («ce que je dis est juste, parce que j’ai un comportement qui en témoigne»).
    288e9ba977fba22a467f11e236b16eeb.jpg Quatrième raison d’être interpellée: la question du sacerdoce universel et de la formation. Avec l’élévation du niveau de scolarisation et de connaissance, beaucoup de Protestants polynésiens voudraient mieux connaître la Bible, en apprendre davantage sur la vie de Jésus, mais sans se retrouver dans un rapport trop hiérarchique de l’élève qui récite devant le maître. Faute de réponses satisfaisantes, ils se tournent vers les librairies (de Paofai, mais aussi les librairies pentecôtistes, adventistes ou catholiques), l’Internet, les cours par correspondance, les cassettes vidéo ou les stations de radio (combien de fidèles de l’EPM écoutent chaque matin Louis Levant sur RTV?). Les églises pentecôtistes répondent sans doute mieux à cette envie d’apprendre, ainsi qu’au désir de participer à la vie d’église, de prendre des responsabilités sans se trouver aussitôt accablé par le poids de la charge et la peur des critiques.
    Cinquième raison (et il y en a sûrement bien d’autres) : la progression du pentecôtisme s’inscrit plus largement dans un contexte de pluralisme. L’historien américain Charles Forman a écrit que le pluralisme est sans doute l’un des plus grands défis auxquels doivent aujourd’hui faire face les sociétés et les églises polynésiennes. Car quand il y a de plus en plus d’églises, la religion n’est plus un facteur d’unité, elle peut devenir au contraire un facteur de division, de conflits, si les églises sont incapables de faire avec cette nouvelle diversité. C’est d’autant plus net avec le pentecôtisme, qu’il s’agit – qu’on le veuille ou non – d’un autre protestantisme. Est-ce que l’EPM est prête à accepter l’idée qu’elle puisse être à l’avenir une des églises protestantes de Polynésie et non la seule «vraie» église protestante, et quelles relations peut-elle nouer avec ces autres protestantismes, évangéliques, pentecôtistes, demain peut-être baptistes, méthodistes?
    Le pluralisme, c’est aussi l’existence en Polynésie de plusieurs langues et de plusieurs cultures. En changeant de nom, l’EPM a-t-elle voulu signifier qu’elle ne serait désormais que l’église des Ma’ohi, tandis que les assemblées de Dieu accueillent indifféremment Ma’ohi, Tinito ou Popa’a, en mettant en avant une identité «en Christ» plutôt qu’une identité ethnique?
    Enfin, le pluralisme ce sont des pratiques religieuses variables, modulables: certains s’identifient comme protestants sans pratiquer autrement qu’en famille, d’autres sont fidèles chaque dimanche ou trois fois par semaine à leur église, d’autres encore circulent dans différentes églises pour se faire leur propre opinion. Et du fait de cette circulation accrue, il y aura de plus en plus, au sein même de l’EPM, une diversité de pratiques et de croyances, il y a d’ailleurs déjà, dans les paroisses, des Évangéliques, des partisans d’une théologie culturelle mao’hi et des Protestants de sensibilité réformée.

    DM. Y-a-t-il un avenir au pentecôtisme en Polynésie?
    YF. En théorie, beaucoup d’évolutions de la société polynésienne actuelle favorisent la progression des églises pentecôtistes. Mais en pratique, celle-ci est aussi limitée par le niveau d’engagement qu’elles exigent de leurs membres, car tout le monde n’est pas prêt à dépenser autant de temps et d’énergie pour la vie d’église. C’est ce qui explique qu’il y ait toutes les semaines à la fois des gens qui se convertissent et d’autres qui «se refroidissent», selon l’expression utilisée par les Pentecôtistes, c’est-à-dire qui prennent une distance plus ou moins grande et plus ou moins définitive avec l’église.
    Ce qui me paraît beaucoup plus facile à prévoir, c’est une progression significative non pas forcément des églises pentecôtistes, mais du protestantisme évangélique ou pentecôtiste lui-même. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il y a aujourd’hui un écart important entre le protestantisme de l’EPM et celui des églises pentecôtistes et il est probable que cet écart se réduise à l’avenir – comme on l’observe par exemple aux îles Cook – avec une progression de la tendance évangélique, que ce soit au sein de l’EPM ou en dehors. Dans son histoire, le protestantisme a toujours été divers, et cette diversité s’est exprimée soit par des églises organisant la cohabitation de plusieurs tendances théologiques, soit (plus souvent) par la création d’autant d’églises qu’il y a d’orientations théologiques.

    DM. Le pentecôtisme s’est-il intégré à la culture polynésienne ou n’est-ce plus nécessaire aujourd’hui pour prospérer?
    YF. Le pentecôtisme polynésien est différent du pentecôtisme français, par exemple, parce qu’il s’inscrit dans une culture polynésienne qui est profondément imprégnée de protestantisme. Ainsi, il peut se prévaloir d’une fidélité à la Bible, ce que les Polynésiens comprennent immédiatement, évoquer les missionnaires polynésiens du 19ème siècle pour encourager les convertis à évangéliser autour d’eux ou rappeler les récits de miracles 75e17b14df180da43d53b7591c8e7956.jpgtransmis par les générations protestantes précé- dentes. En revanche, à l’exception des tendances les plus récentes (l’église du Plein Évangile notam- ment) ou de groupes influencés par Jeunesse en Mission, il ne fait pas preuve d’un militantisme culturel comparable à celui de l’EPM. Sans doute pour se distinguer de l’EPM, les assemblées de Dieu ont tendance à refuser ce qu’elles considèrent comme un repli sur soi et à offrir plutôt une ouverture sur l’extérieur qu’une valorisation de la culture locale. Elles insistent sur la nécessaire rupture avec la culture polynésienne pré-chrétienne, évoquent la lutte contre les esprits liés aux marae, aux tikis, et se montrent assez réticentes vis à vis d’expressions culturelles comme la danse. Les relations entre pentecôtisme et culture s’organisent donc sur la base d’une compréhension assez stricte de ce qui, dans la culture polynésienne, est compatible avec le christianisme.

    Le 29 avril 2006
     

     
    Photos d'illustration 
    - L'église Apostolic Faith Gospel Mission, rue Azusa, au début du siècle (AP Photo/Larry Ross Communications) et W.J. Seymour.
    - Colonie de vacances des assemblées de Dieu à Taravao (Tahiti), 1984 (Photo Raymond Siao, DR)
    - Temple de l'église protestante ma'ohi à Haapiti, Moorea, 2007 (Photo Gwendoline Malogne-Fer, DR)
    - Chorale de Taravao, rassemblement de Pentecôte, Tahiti, 2001 (Photo Yannick Fer, DR)
     

  • C'est où, Kiribati ?

    867aa0e288b5e9f179d29f052ae03f90.jpgLes Kiribati ont surgi par surprise dans l’actualité française du mois d’août, à l’occasion du naufra- ge du chalutier Sokalique, au large de l’île d’Ouessant, et de la responsabilité d’un cargo sous pavillon de ces îles micronésiennes dans l’accident. Au fait, c’est où les Kiribati ? Grâce à Rumaroti Tenten, enseignant au Tangintebu Theological College de South Tarawa – l’école de formation de la Kiribati Protestant Church – et auteur du chapitre Kiribati dans le livre édité en 2007 par Manfred Ernst (Globalization and the Reshaping of Christianity in Oceania), on peut tout savoir, ou presque sur ces îles du Pacifique, y compris bien sûr ce qui concerne un paysage religieux relativement diversifié pour une population d’environ 95000 personnes.

    La république de Kiribati, connue sous le nom des îles Gilbert jusqu’en 1979, estdc1167a77719b72fb8fc27888739cf06.jpg constituée d’un ensemble de 33 atolls (dont 23 inhabités) au centre de l’Océan Pacifique, étalés sur des distances immenses : 3870 km d’est en ouest et 2050 km du nord au sud. Les trois archipels qui la composent sont d’anciennes colonies britanniques, annexées entre 1915 et 1937 : après la découverte de phosphates sur l’île de Banaba en 1908, le groupe des îles Gilbert (stricto sensu) et celui des îles Ellice deviennent britanniques en 1915-1916, puis l’île Christmas (aujourd’hui Kirimati) et les îles de la Ligne en 1919 et enfin les îles Phoenix en 1937. En 1975, les îles Ellice se sont prononcées massivement en faveur d’une séparation, donnant naissance en 1978 à l’État indépendant de Tuvalu.

    3a0197325188f4d46da46f307ee82208.jpg Les réserves exploitables de phosphate, explique R. Tenten, étaient épuisées lors de l’accession à l’indépendance. L’essentiel de l’économie des Kiribati repose aujourd’hui sur le coprah et la pêche (exportations mais aussi accords de pêche, comme celui conclu en 2003 avec l'Union européenne). Le tourisme est peu développé : autour de 4000 visiteurs par an. Pour réduire la dépendance vis-à-vis des exportations et faire évoluer son économie, le gouvernement de Kiribati mise aujourd’hui sur l’éducation, afin d’augmenter le niveau de formation. Le registre maritime de Kiribati (basé à Singapour), avec ce qu'il est convenu d'appeler un "pavillon de complaisance" pour les navires de commerce (créé en juin 2006 par amendement au Kiribati Merchant Shipping Act), vise évidemment à apporter à ce pays relativement pauvre des ressources supplémentaires - 5,6 millions d'euros par an selon Libération. Le gouvernement des Kiribati suit ainsi l'exemple d'autres îles du Pacifique, notamment Tuvalu.

    Il s’efforce en outre d’enrayer les concentrations de population trop importantes sur certaines îles, en particulier sur l’atoll de Tarawa, la capitale du pays (où vit près de la moitié de la population), un problème récurrent qui a inspiré plusieurs plans de déplacement de populations depuis les années 1930, décrits par Karen Nero dans The Cambridge History of Pacific Islanders: des îles Phoenix vers des îles peu peuplées au sud des îles Gilbert, des îles Gilbert et de Sydney Island vers l’île de Ghizo aux Salomon sous la période coloniale et plus récemment des îles Gilbert (Tungaru en langue locale) vers les îles de la Ligne. En 1985, écrit K. Nero, seulement 3,5% des I-Kiribati avaient vécu à l’étranger, autrement dit la solution aux problèmes de surpopulation passe aussi par l’ouverture de routes migratoires. La plupart de ces émigrés travaillaient dans les mines de Nauru, dont l’activité a cessé à la fin des années 1990, ou comme marins. En 1994, Kiribati et Tuvalu ont demandé à la Nouvelle-Zélande et à l’Australie une augmentation des permis de travailleurs migrants, qui leur a été refusée.

    5ed9821e5ee56f45d2d91b08de27ca16.jpg En grande majorité, les habitants des Kiribati appartiennent à l’une des deux églises établies au 19ème siècle: l’église catholique (54%) et la Kiribati Protestant Church (37% au recensement de 2000). La première s'est implantée au cours des années 1880 et a ouvert des écoles à partir de 1925. La seconde, qui rassemble différentes sensibilités protestantes (presbytériens, congrégationalistes, baptistes, méthodistes et anglicans), est issue des deux missions ayant joué un rôle majeur dans la diffusion du protestantisme dans le Pacifique: l’American Board of Commissioners for Foreign Missions (ABCFM), dont beaucoup de missionnaires en Micronésie étaient hawaiiens ; et la London Missionary Society (LMS), présente dans le Pacifique depuis 1797 (date de l’arrivée du premier bateau, le Duff, en baie de Matavai à Tahiti) et appuyée par des missionnaires samoans. La LMS ayant rencontré davantage de succès, c’est elle qui prend en charge l’ensemble des îles à partir de 1917, date à laquelle l’ABCFM se retire. La Kiribati Protestant Church, en tant qu’église indépendante, a vu le jour en 1968. Elle se distingue notamment par la place qu’elle accorde aux femmes, puisqu’elle compte aujourd’hui 20 pasteures (sur 120).
     
    À Kiribati comme dans beaucoup d’îles du Pacifique, on observe depuis les années 1970-80 trois tendances:
    - Une église catholique plutôt stable, voire en légère progression
    - Un déclin relatif de l’église protestante historique (le nombre de ses membres augmente moins vite que la population globale)
    - Une progression des églises de la «deuxième vague » (Mormons et adventistes) puis de la «troisième vague», plus récente (Pentecôtistes, témoins de Jéhovah, Bahá’í).

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    L’église mormone, qui gère notamment une école secondaire à Tarawa (la Moroni High School) est la troisième église de Kiribati, même si elle arrive loin derrière les deux églises historiques : présente depuis 1976, elle comptait 2300 membres au recensement de 2000. Elle est suivie de près par deux mouvements présents depuis l’après-guerre (respectivement 1954 et 1947) : les Bahá’í (2052), qui connaissent depuis plusieurs dizaines d’années une progression significative dans les îles du Pacifique, et les adventistes (1400).
    On recense aujourd’hui à Kiribati un nombre étonnant d’églises pentecôtistes ou évangéliques, le plus souvent originaires des Etats-Unis : la Church of God, première arrivée (en 1954), les assemblées de Dieu – qui reçoivent des missionnaires fidjiens et américains et en ont elles-mêmes envoyés aux îles Marshall -, la Church of Christ, la New Apostolic Church. La Kiribati New Testament Pentecostal Church est venue s’ajouter à la liste en 2000, à la suite d’une scission survenue au sein de la Church of God. Comme c’est le cas sur tous les continents, ici aussi, la croissance du pentecôtisme repose donc à la fois sur la multiplication des activités missionnaires extérieures et les divisions internes aux églises locales.
     
     
    Photos d'illustration
    L'atoll de Tarawa vu d'avion (trekearth.com)
    Le drapeau officiel de la république de Kiribati  
    Les autres photos de Kiribati sont issues du site galenfrysinger.com

  • Diasporas asiatiques dans le Pacifique : état des lieux

    À l’invitation du réseau Asie-IMASIE, un atelier en deux parties (1 et 2) sur le thème «diasporas asiatiques dans le Pacifique, histoire des représentations et enjeux contemporains» aura lieu le 26 septembre prochain à Paris, dans le cadre du congrès biannuel du réseau. L’occasion de faire un premier état des lieux des recherches sur ces communautés d’origine asiatique du Pacifique, souvent figures idéales de l’étranger symbolisant un ensemble d’évolutions qui les dépassent: globalisation économique, pluralisme culturel et religieux, migrations et urbanisation. Petit tour d’horizon.

    933a12904d9e1781873e95853ba91cf7.jpg Le dernier rapport de l’UNFPA, le fonds des Nations-Unies pour les populations, souligne que l’Océanie est aujourd’hui la région du monde qui compte le taux le plus important de migrants (15,6%), concentrés en Nouvelle-Zélande et en Australie. La Nouvelle-Zélande, dont nous parlera Paola Voci, enseignante en langues et cultures chinoises à l’université d’Otago (Dunedin), comptait au recensement de 2006 9,2% de sa population d’origine asiatique, dont les deux tiers vivent dans la région d’Auckland. La plus importante communauté est chinoise – 147570 personnes et une augmentation de 40,5% entre 2001 et 2006 – devant les Indiens (104583, +68,2%) et les Coréens (30792, +61,8%). Les politiques migratoires néo-zélandaises expliquent en partie la grande diversité religieuse observable dans une société où une personne sur quatre se déclare pourtant sans religion : bouddhistes, hindous, sikhs, mais aussi églises chrétiennes coréennes ou samoanes, etc… une mosaïque culturelle qui se combine avec la multiplicité des courants protestants (voir par exemple ma note du 16 août 2006 sur les communautés darbystes).
     
    À Fidji, comme je l'expliquais dans une note du 11 décembre dernier, les coups d’État survenus depuis 1987 ont tous à voir avec la 34763013c52ff599f2a83b1a86945efe.jpgcoexistence dans ce pays – dans une proportion proche de 50/50 – de Fidjiens d’origine autochtone («ethnic Fijians») à 99% chrétiens et de Fidjiens d’origine indienne («Indo-Fijians»), dont la présence remonte à la fin du 19ème siècle, lorsque les Britanniques sont allés chercher en Inde la main d’œuvre pour les plantations de cannes à sucre. Ceux-ci sont très majoritairement hindous, avec environ 15% de musulmans et quelques chrétiens. Certaines églises chrétiennes, comme l’église méthodiste, qui rassemble 36% de la population (66% des Ethnic Fijians), défendent aujourd'hui une conception de l’identité fidjienne fondée sur la terre (les Indo-Fidjiens n’ont pas le droit d’être propriétaires fonciers), les traditions et le christianisme. En prônant l'instauration d'un État chrétien, elles cherchent à exclure les Indo-fidjiens du pouvoir et considèrent parfois, sous couvert de "réconciliation", que la seule manière de donner au pays une unité nationale serait de convertir ces derniers au christianisme.

     

    Les communautés chinoises du Pacifique, souvent très présentes dans le commerce (dans beaucoup d'îles de Polynésie française, aller au magasin se dit "aller chez le Chinois"), ont longtemps été stigmatisées par les autorités coloniales (et parfois religieuses) ou les populations locales, surtout en période de crise économique. Pendant l'entre-deux-guerres, les milieux coloniaux français de Tahiti ne cessaient d'agiter le "péril chinois", mettant en avant la "cupidité agressive" des Chinois, face à b6ae7ae04303f9a6343e19880d10c0a1.jpglaquelle le peuple polynésien - "une race primitive, naïve, enfantine", écrivait l'abbé Rougier - serait sans résistance. Des  réflexions que l'on peut malheureusement encore entendre, sous des formes à peine différentes, au détour de quelques conversations d'aujourd'hui. L'histoire des Chinois de Tahiti, majoritairement de culture hakka, a donné lieu à de nombreuses publications et travaux universitaires, les plus récents étant le livre de B. Saura, Tinito (Au Vent des îles, 2002), Identité Hakka à Tahiti d'E. Sin Chan (Teite, 2005) - qui participera à l'atelier - ou encore la thèse de A.-C. Trémon, "Les Chinois en Polynésie française. Configuration d'un champ des identifications", soutenue en 2005 à l'EHESS. Au cours de mes recherches sur le pentecôtisme en Polynésie française, je me suis moi-même intéressé aux circonstances de l'implantation du pentecôtisme, au début des années 1960, au sein de la communauté hakka de Tahiti, qui a été à l'origine de la première église pentecôtiste polynésienne, l'église Alléluia (voir l'article "Le pentecôtisme en Polynésie française, une histoire hakka"). L'église catholique a par ailleurs créé pour les Polynésiens de culture chinoise une paroisse extra-territoriale, dans le sillage du concile Vatican II qui prônait une meilleure prise en compte des langues et des cultures locales.

     

    Dans beaucoup d'îles, les commerçants chinois ont servi d'exutoire lors de tensions politiques: les manifestations contre le gouvernement tongien et son refus de procéder à des réformes démocratiques significatives, en novembre 2006 (voir aussi ma note du 13 septembre 2006), ont frappé les magasins chinois du centre-ville de Nuku'alofa, la capitale. À Honiara, capitale des îles Salomon, plusieurs centaines de commerçants chinois avaient connu le même sort en avril 2006, comme le rappelle P. de Deckker dans un article paru 3140c5d9863da4a298a661c8259896cf.jpgen juin dernier dans le magazine Tahiti Pacifique: les manifestants les accusaient d'avoir financé la campagne électorale du premier ministre élu, qui dût finalement démissionner.

    D'autres communautés asia- tiques paraissent moins exposées et ont moins mobilisé l'attention des chercheurs. Nous aurons l'occasion de les évoquer, avec les interventions de J.-L. Maurer, auteur en 2006 d'un livre intitulé Les Javanais du Caillou. Sociologie historique de la communauté indonésienne de Nouvelle-Calédonie (Maison des sciences de l'homme), Dominique Jouve qui s'est intéressée aux représentations des Javanais et Vietnamiens de Nouvelle-Calédonie dans la littérature et Virginie Riou, qui après une thèse à l'EHESS sur colons français des Nouvelles-Hébrides (actuellement Vanuatu), s'intéresse désormais aux parcours des travailleurs tonkinois sous contrat et de leurs descendants du début des années 1920 à nos jours.

     

    Enfin, les micro-États du Pacifique sont au coeur d'enjeux diplomatiques et économiques concernant les relations entre l'Occident et les puissances asiatiques ainsi que la rivalité entre la Chine continentale et Taiwan, qui se disputent notamment le soutien des Océaniens à l'ONU. Fabrice Argounes, doctorant à Science Po Bordeaux, et Sarah Mohammed-Gaillard nous en parleront lors de l'atelier de septembre prochain. Selon le recensement établi par P. de Deckker dans son article cité plus haut, "Taiwan bénéficie actuellement du soutien des îles Marshall, Kiribati, Palau, Tuvalu et les îles Salomon", ce qui représente un cinquième de ses soutiens et après avoir perdu ceux de Tonga (en 1998), de Nauru (en 2002) et avoir espéré en vain celui du Vanuatu (en 2004). Rude concurrence, qui se joue aussi à travers les suventions accordées à des économies insulaires souvent fragiles.

     
     
     
    * Illustrations (de bas en haut): fête de la communauté chinoise à Auckland (Nouvelle-Zélande) ; temple hindou à Nandi (Fidji) ; Nouvel An chinois à la cathédrale Maria No te hau de Papeete (Tahiti) ; magasin chinois de Tahiti - pour les amateurs, cette photo fait partie d'une série de 25 photos remarquables, à voir sur le blog "Tahitian Guy".